mardi 10 octobre 2017

[Chronique] Vulture Industries - Stranger Times

On avait bien compris avec The Tower, sorti il y a déjà quatre ans, que les norvégiens de Vulture Industries n'avaient plus trop envie de s'éterniser dans le petit giron du Black Metal et que son Prog avant-gardiste avait probablement besoin de plus d'espace pour s'exprimer librement, le fait que le chanteur Bjørnar Nilsen assouvisse désormais ses pulsions brutales au sein de Black Hole Generator ne laissant pas entrevoir non plus un retour en arrière.
Il va falloir s'y faire, les racines extrêmes du projet, bien que toujours présentes par moment, ne seront désormais plus qu'une référence parmi d'autres pour un groupe caméléon bien décidé à poursuivre son évolution, Stranger Times s'inscrira dans cette démarche d'adoucissement sur la forme et de développement de ramifications davantage rock et progressives, un autre moyen d'expression en quelque sorte, sans forcément renier le passé, mais toujours tourné vers l'avenir.

Stranger Time entérine l'évolution entreprise sur The Tower, vous aimiez le Black? y'en a plus, mais genre plus du tout là, ce qui n'est pas forcément choquant dans le cas présent puisque l'on s'y attendait un peu, mais ce qui est un peu plus gênant, c'est l'orientation bien plus Rock de l'aventure qui passera par moment par l'abandon pur et simple de certaines velléités abrasives et métalliques, et ce sera l'un des reproches que j'aurais envers ce disque, qui découle de cette orientation Rock, Stranger Times va manquer de punch, ce qui va créer une espèce de rythme étrange sur le disque, où Vulture Industries va avoir un peu de mal à tenir la distance sans se répéter, la faute à un certain manque d'impact de sa musique.

Malgré tout, entendons-nous bien, malgré cette orientation par moment problématique, il n'en reste pas moins que Stranger Times est un très bon disque, car il faut mettre au crédit des norvégiens que même si on reste un peu sur sa faim, ce manque d'impact est partiellement compensé par un très fort renforcement de la capacité du groupe à développer un univers baroque et théâtral particulièrement cohérent, Stranger Times tire surement plus du côté du Heavy Rock, mais il n'en demeure pas moins qu'il conserve du Metal une certaine dimension ténébreuse, un peu malsaine, où les atmosphères sont particulièrement sombres, de même que les thèmes abordés, ce qui va créer une certaine opposition entre le fond et la forme, développant de nombreux contrastes entre la musique et le message véhiculé.

Mr.Bungle revient souvent quand il s'agit de définir le son Vulture Industries, c'est bel et bien du côté de California que penche le groupe aujourd'hui, bien sûr en version plus métallisée dans une vision de l'avant-garde qui se situe dans la plus grande tradition norvégienne, ce qui nous amène à l'autre référence majeure, qui sera bien évidemment Arcturus, mais aussi Leprous, ce dernier ayant un cheminement assez proche de Vulture Industries dans le mesure où c'est vers le Rock que penche désormais la balance, Vulture Industries pourrait presque être résumé aujourd'hui à un Arcturus qui serait mélangé avec du Tom Waits, enfin, du bon Arcturus hein, pas celui du dernier album tout pourri.
Bref, avec un morceau du calibre de Tales of Woe pour ouvrir l'album, on est rassuré sur les capacités intactes de Vulture Industries après quatre ans d'absence, le morceau est curieusement direct avec un riff très efficace et un refrain catchy, un poil plus Rock que Metal désormais, plus clean, et diaboliquement entraînant, le chant de Nilsen étant toujours autant théâtralisé comme c'est le cas depuis désormais deux albums, explorant toutes les facettes de son chant clair, ce qui est également devenu habituel, c'est le caractère extravagant de la musique de Vulture Industries, renforcé par une utilisation massive d'orchestrations qui imprègnent chaque riff et changement de rythme.

Après un départ plutôt direct, As the World Burns prendra un tout autre chemin pour un très long build-up blues/Rock aux sonorités progressives, et c'est dans son ultime partie que le groupe aura recours à un son plus dur et métallique pour un climax ou vous attend une très jolie lead agressive et surprenante de la cadre de l'orientation de l'album, car c'est bien de Rock qu'il s'agira sur la ballade Strangers qui semble reprendre le tempo du morceau précédent en y ajoutant de nouvelles textures sonores, des cordes, des choeurs, des orchestrations et une bonne vieille trompette pour le côté Kermesse déglinguée, une trompette qui sera d'ailleurs présente dès le titre suivant, The Beacon étant une nouvelle power-ballade progressive éclectique et baroque traversée de quelques spasmes nerveux et d'accélérations où le groupe jouera les funambule en équilibre entre son Metal avant-gardiste et ses velléités rock progressives, Something Vile proposera un mix curieux et intrigant, partant d'un riff très sombre à la Paradise Lost, le morceau évoluera vers un avant-garde très dynamique, formant un ensemble détonnant, alternant entre les passages éthérés plutôt calmes et diverses divagations tumultueuses, le tout toujours aussi dominé par le chant versatile de Nilsen.
C'est à partir de là où l'album va quelque peu plonger et que les norvégiens se feront un peu trop redondant, My Body My Blood est une interlude en forme de filler qui n'intéressera pas grand monde, précédant un Gentle Touch of a Killer vraiment pas super dans sa première moitié qui rappelle un peu trop un petit filler d'Arcturus, il y a quelques bonnes idées et des passages vraiment bons, mais le morceau semble étrangement tourner en rond, fort heureusement Screaming Reflections sera un peu plus intéressant, notamment dans son approche vocale, mais aussi dans ses instrumentations, qui offrent une réelle plus-value au morceau, cette fin d'album sera réellement décousue et l'on se demandera parfois où le groupe veut en venir, comme cet ultime titre Midnight Draws Near qui ressemble à une sorte de curieux exercice de style où le groupe voudrait nous montrer à quoi pourrait ressembler un Leprous avec Nilsen au chant, ce n'est pas franchement la plus grande réussite du disque, sans pour autant tomber dans le médiocre, c'est plus énigmatique qu'autre chose.

Stranger Times est jusqu'à présent l'album le plus mélodramatique et théâtral de la carrière de Vulture Industries, le plus Rock aussi, car même si le groupe reste étiqueté Metal/Avant-Garde, on est parfois assez éloigné du genre, même si le groupe a souvent tendance à y revenir quand il s'aventure trop loin dans les délires et les expérimentations extravagantes.
Vulture Industries délivre ici un album plein de contrastes, volubile, très riche d'orchestrations, mais pas exempt de défaut, on regrettera par moment un certain manque de punch et de dynamisme, de même que quelques passages redondants ou décousus, notamment sur la fin, on a le sentiment que Stranger Times est un album de transition qui se perd dans certaines divagations sonores, malgré tout, Stranger Times est le genre d'album ambitieux qui même si pas parfait, demeure en tout point unique en son genre, il est juste branché sur courant alternatif et moins impactant que ne l'était The Tower, tout en posant de nouvelles bases pour l'avenir.