Il y a trois ans, Vesper, le premier album des polonais, m'avait laissé un arrière-goût un peu amer, non pas qu'il était mauvais, enfin pas complètement, mais on sentait bien que Entropia était passé à côté de quelque chose, Vesper était décevant car on avait affaire à un groupe qui voulait expérimenter, qui était capable de faire preuve d'un certain esprit d'aventure, mais qui étrangement s'enfermait dans des codes de Black Shoegaze qui plombaient irrémédiablement le disque.
Vesper était facilement oubliable, mais suffisamment intéressant pour que l'on puisse imaginer qu'un jour, Entropia puisse s'affranchir de ses structures rigides et véritablement démontrer tout son potentiel, ouais, je voulais y croire, Entropia devait évoluer pour ne pas s'enfermer définitivement dans la case shoegaze et tomber dans l'oubli en se noyant dans la masse, et voyez-vous, ça tombe super bien que je vous dise ça, car Ufonaut, c'est précisément ça, un changement drastique de direction, une évolution, et enfin, Entropia est en train de confirmer tous les espoirs qu'on avait placé en lui.
Libéré, délivré! Entropia a enfin remisé au placard son post-Rock/Post-Black/Shoegaze, enfin, pas tout à fait, il en subsiste quelques traces par moments, mais ce ne sont plus désormais que quelques figures de styles au service d'un ensemble plus diversifié et bien plus aventureux, Ufonaut prend une tout autre direction, une espèce de prog avant-gardiste ancré dans le Black incluant également quelques bifurcations Death et Sludge, autant le dire tout de suite, c'est, enfin, tout ce que l'on aurait aimé que soit le premier album des polonais, qui se montrent ici enfin audacieux, les atmosphères glauques et malsaines seront également au rendez-vous, comme si Entropia avait fait un petit séjour dans l’hôpital hanté d'Axis of Perdition en écoutant un peu de Gorguts.
Le changement est notable dès le premier morceau Fractal, qui va nous emmener dans une sorte de Black/Death sludge hypnotique, ce premier titre sera étrangement punchy dans son approche, ce qui n'empêchera pas le groupe de nous proposer un plan typiquement post-Metal à mi-parcours, incluant certains effets sonores angoissants et des mélodies Blackisées diablement énergiques au Groove mélodique, d'emblée, Entropia enterre son premier album, Fractal est une déclaration d'intention, Ufonaut sera maladif, sinueux, beaucoup moins prévisible aussi, même si, malheureusement, l'ensemble donnera l'impression d'être parfois quelque peu décousu, Entropia a de temps son temps recours à des effets de style consistant à jeter dans ses compositions des samples psychédéliques de manière un peu hasardeuse, Entropia est encore un groupe en mutation, qui se montre peut-être ici trop fougueux, Ufonaut va manquer d'une certaine cohésion et va trop se disperser, fort heureusement, ce ne seront que des défauts mineurs d'un groupe qui veut trop bien faire et qui finit par perdre le fil de ses compositions.
Cela ne va pas empêcher Entropia de proposer sur chaque morceau des moments de très très grande qualité, c'est un peu le bordel, mais par moment, le groupe parvient à tout mettre dans le bon ordre, et quand c'est le cas, ça envoie du très lourd, l'album a parfois des moments de rage incontrôlable qui rappelleront volontiers toute la scène Death Abstraite, on flirte par instant avec Gorguts ou Gigan, pour la dimension chaotique et énergique des structures, mais le groupe parvient également à développer certaines atmosphères pas vilaines du tout, comme les sonorités et mélodies orientales de Mandala, morceau qui curieusement, inclura également des samples SF vintage sur la fin, ce qui n'est pas forcement la meilleure idée que le groupe ait eu, mais voilà, comme je vous le disait, Entropia passe parfois du coq à l'âne à vouloir trop bien faire et en fait finalement trop, ce qui donne l'impression que l'album est un peu désorganisé, manquant peut-être de direction, on retrouvera d'ailleurs les samples bizarre et SF sur Paradox, et c'est beaucoup mieux réussi car le groupe parvient à pleinement les intégrer sans se disperser, bien aidé par un morceau qui mélange habilement le Black rugueux et le post-Metal atmosphérique, violence et mélodie, c'est là où Entropia brille, quand il ne passe pas son temps à proposer des breaks abscons qui cassent constamment le flot naturel des morceaux.
Ce que l'on peut également mettre au crédit des polonais, c'est le fait de ne jamais tomber la tête la première dans les gimmicks psychédéliques à outrance, il y en a, évidemment, mais Entropia se concentre davantage sur les riffs et l'énergie, et c'est d'une certaine manière ce qui sauve l'album, une orientation plus Death dans l'esprit, avec son harnachement Avant-garde qui permet au groupe de naviguer avec une certaine aisance dans d'autres genres, et donc de donner une réelle personnalité à Entropia, Ufonaut est plus Heavy, plus sombre, mais aussi bien plus original qu'il y a trois ans.
Progressif, aventureux, psychédélique, plus Death, avant-gardiste, mais également plus brouillon, et manquant parfois de cohérence, ce second album d'Entropia n'est pas parfait, mais c'est malgré tout un pas de géant dans la bonne direction, Ufonaut semble présager d'un avenir radieux pour les polonais s'ils continuent sur cette voie.
On a affaire à une bestiole curieuse, aux mouvements peu lisibles, mais à la personnalité bien plus affirmée, Entropia ne fait plus vraiment dans la copie post-Bidule, il vient de prendre son destin en main et on ne peut que lui souhaiter de s'affirmer davantage, le talent est là, c'est pour l'instant encore un peu trop brut de décoffrage, trop confus, mais le groupe semble avoir une idée précise de là où il veut aller, et vue la qualité d'Ufonaut, on ne demande qu'à les suivre.