S'il y avait bien UN album que j'attendais avec impatience en ce début d'année, voir même cette année tout court, c'était bien ce nouveau Borknagar, pensez-vous, j'avais élu Urd meilleur album de l'année en 2012, ce qui représente un sacré exploit vu que, vous le savez, je suis particulièrement exigeant.
Bref, Urd était un disque tout ce qu'il y a de plus monumental, du genre à marquer durablement une discographie, qui soulevait malgré tout quelques interrogations, notamment sur la capacité de l'orchestre norvégien à faire mieux, on va aller droit au but, Winter Thrice n'est pas meilleur que Urd, en fait, et c'est bien là ou se situe le cœur du problème, Winter Thrice est juste tout aussi bon que Urd, comment le fait qu'un disque qui soit aussi bon que son brillant prédécesseur peut constituer un problème? je vais tenter de vous expliquer ça...
Je dis bien tenter, car ce n'est pas forcément évident, le souci n'est ici pas dû au fait que j'espérais trop de ce disque au point d'en être déçu au final, il est que justement, Winter Thrice est exactement ce que j'attendais d'un album de Borknagar post-Urd, ce nouvel album est brillant, montrant un groupe maîtrisant complètement son sujet, presque au sommet de son art, mais ce nouveau disque, aussi brillant soit-il... il n'est que ça, et vous l'avez déjà entendu avant.
J'admets, c'est confus, et difficilement compréhensible comme raisonnement, mais Winter Thrice va simplement se contenter de reproduire exactement la formule développée sur Urd, bien sûr, il y a quelques différences, mais elles ne sont pas vraiment en cause ici, le fait que Winter Thrice soit légèrement plus enclin au mid-tempo que son prédécesseur n'est pas un inconvénient en soi, ce n'est pas ce qui empêche ce nouvel album d'avoir le même impact, disons que l'effet de surprise fonctionnait à plein sur Urd, qui arrivait après quelques albums un peu en dessous qualitativement parlant, cet effet de surprise, il n'existe plus aujourd'hui, que Winter Thrice soit brillant, c'était attendu, et le fait que les norvégiens se contentent de ça rend l'album en quelque sorte décevant, il n'y aura aucune surprise sur Winter Thrice, jamais le groupe ne montrera la volonté de se surpasser, de tenter d'aller encore plus haut, Winter Thrice montre un groupe qui, même s'il ne montre aucune baisse notable de qualité, plafonne, et qui commence même par sérieusement stagner, vous aller me dire qu'un groupe qui stagne alors qu'il est au sommet, c'est quand même pas trop mal, mouais, peut-être pas quand on parle d'un groupe qui se veut progressif.
On attend toujours d'un groupe de progressif qu'il expérimente, qu'il invente, qu'il tente de bousculer les codes et les normes, dépasser ses limites, malheureusement, dans le cas de Borknagar et de Winter Thrice, le progressif est devenu un ensemble de codes et de règles rigides qu'il faut respecter à la lettre, ce qui n'est jamais vraiment une bonne nouvelle, c'est un peu ce que fait Enslaved depuis quelques albums et il est devenu bien difficile de s'enthousiasmer à chaque nouvelle sortie, Borknagar semble suivre le même chemin de l'immobilisme, et cela va être l'une des raisons pour lesquelles Winter Thrice va un peu moins bien fonctionner, sauf évidemment pour ceux qui ne connaissent pas le groupe, qui y trouveront véritablement leur compte puisque ce disque est malgré tout plus que recommandable.
Partant de là, on va retrouver sur Winter Thrice tout ce que l'on aimait avec Urd, ce mélange racé entre les racines Black Metal, avec lequel le groupe n'a jamais véritablement coupé les ponts, et le Folk Progressif typiquement scandinave, particulièrement riche de textures comme vous pouvez vous en douter, le tout bien évidemment illuminé par la présence de trois vocalistes d'exception qui se partagent les parties vocales, Vintersorg, Lazare et Vortex, offrant une densité et une profondeur rarement égalés dans le Black/Prog scandinave, différents types de chants enchevêtrés à l'extrême, et comme je vous disais plus haut que ce nouvel album offre simplement ce que l'on attendait, je vous rappelle qu'à la fin de ma chronique de Urd, je soumettais l'idée à Borknagar d'intégrer Garm à la tambouille pour encore plus d'epicness... ce qu'ils ont fait, et c'est un peu l'argument de vente sur lequel était basée la promo de l'album, la présence de Garm, à temps plein le temps d'un titre, l'éponyme Winter Thrice, et on ne va pas se mentir, c'est tout simplement glorieux, quatre textures de chant différentes sur un morceau d'une incroyable beauté, où le growl de Vintersorg interviendra de manière vigoureuse sur les passages speedés proprement Black, où l'on retrouve d'ailleurs quelques blasts du nouveau batteur, le jeune Baard Kolstad, qui depuis environ cinq ans semble jouer sur à peu près l'intégralité des productions prog de Norvège.
Pris indépendamment, chacun des titres de Winter Thrice est une véritable tuerie, le problème étant que, bizarrement, dans le cadre de l'album, tous semblent fonctionner moins bien, comme si Borknagar avait composé huit très bons titres sans véritablement penser au tableau final, on en est à un point où huit morceaux tous d'excellente facture ne suffisent pas à faire un disque génial, la diversité est présente, naturellement (Curieux d'entendre un Cold Runs the River semblant tout droit sorti d'un disque de Vintersorg cohabiter avec un Panorama davantage orienté Prog/Musique du monde taillé sur-mesure pour Lazare), mais la fluidité beaucoup moins, chaque morceau étant une pièce d'un patchwork plutôt flou, ce qui fait que Winter Thrice ne va pas proposer ce souffle épique qui imprégnait les compositions de Urd, qui lui fonctionnait comme un tout, il y a moins d'unité sur ce nouvel album, Urd était un véritable ensemble, épique du début à la fin, presque une expérience sensorielle, Winter Thrice est juste composé de huit titres sans réelle vision d'ensemble, un disque qui marche en pointillé, par à-coups, le tout sans proposer aucune nouveauté ni évolution notable, c'est bien sur ce point que Borknagar va gravement pécher, l'album est bien trop confortable pour être pleinement satisfaisant.
Il va sans dire qu'en plus du chant, avec des harmonies vocales succulentes, la partie instrumentale n'est pas en reste, le travail sur les riffs et les leads du duo Ryland/Brun est tout simplement stellaire, de même qu'une section rythmique particulièrement convaincante, avec un Kolstad qui va faire preuve de beaucoup de subtilité dans son jeu de batterie, capable d'enchaîner les plans progressifs intriqués avec des blasts furibards, il n'y a absolument rien de mauvais sur Winter Thrice, l'album transpire la classe et le talent à chaque note, mais malgré tout, l'album tombe un peu à plat, il s'avère souvent un poil trop policé, trop propre, trop travaillé, et même si les chanteurs font de leur mieux avec des prestations brillantes, on ne ressent pas vraiment cette puissance émotionnelle flagrante sur l'album précédent, Winter Thrice manque parfois de dynamisme, même quand le tempo s'élève, on reste de marbre, on aurait aimé plus de punch, plus d'aspérités, mais à trop vouloir chercher une espèce de perfection formelle, Borknagar ne parvient jamais à faire passer les émotions nécessaires à son entreprise, ces émotions qui nous feraient véritablement entrer dans le disque font ici défaut, le manque de dynamisme et les automatismes du groupe (les claviers prog et les sonorités vintage font un peu trop déjà entendus) font que l'on va rester toujours en surface, et il va être à la longue bien difficile de se sentir concerné par ce qui se passe sur l'album.
Bien évidemment, il n'y a rien à jeter dans cette nouvelle offrande de Borknagar, mais malgré tout, il est difficile de ne pas être déçu par le résultat final, on aurait aimé que Borknagar tente de se surpasser et d'aller encore plus loin, on aura droit à un simple continuation de Urd où l'on aurait perdu l'émotion en cours de route, Winter Thrice est cet album génial que j'ai du mal à aimer.
Borknagar nous offre un disque brillant où la magie n'opère pas, ou plus, la faute à toute une somme de détails dérangeants, Winter Thrice est un album trop parfait et trop confortable pour pouvoir générer de l'émotion, on reste souvent de marbre malgré la très haute qualité du produit, on aurait aimé de l'aventure, descendre des rapides sur un radeau de fortune, dommage, Winter Thrice c'est une croisière de luxe où tout est calculé et où aucune place n'est laissé aux expérimentations et à l'improvisation.
Track Listing:
1. The Rhymes of the Mountain 06:43
2. Winter Thrice 06:13
3. Cold Runs the River 05:51
4. Panorama 05:51
5. When Chaos Calls 07:02
6. Erodent 06:56
7. Noctilucent 03:54
8. Terminus 07:09