dimanche 17 mars 2013

[Chronique] In Vain - Aenigma

La nature a horreur du vide, c'est ainsi qu'en 2003, peu après la fin des géniaux In the Woods (je vous conseille le brillantissime Omnio), In Vain est sorti de sa forêt pour occuper la place vacante de roi du Black progressif avant-gardiste de la ville norvégienne de Kristiansand, et les bougres avaient frappé très fort en 2007 avec leur premier album, The Latter Rain, disque au combien génial, qui fut suivi trois ans plus tard par un Mantra un poil différent mais excellent dans son genre, qui a divisé les fans du premier opus, un disque qui à mon avis prouvait une chose, In Vain ne fera jamais aussi bien que The Latter Rain (Voilà, c'est dit, vous pouvez me jeter des briques si vous n'êtes pas d'accord, mais c'est mon avis).
Alors voilà le troisième album enfin dans les bacs, un Aenigma qui porte au final bien son nom, et qui m'a laissé bien perplexe, car autant le groupe prouve ici qu'il n'a rien perdu de son génie, autant le disque s'avère au final assez décevant, tout en demeurant l'une des sorties les plus impressionnantes que vous écouterez cette année, un gigantesque paradoxe qui m'a presque vrillé le cerveau, Aenigma est surement l'une des plus belle déception qu'il m'ait été donné d'écouter...

In Vain est le genre de groupe inclassable, à la croisée du Black et du Death, mais du côté mélodique du genre, atmosphérique, progressif, une musique en forme de superpositions de différentes textures, de la mélodie, de l'agressivité, des mélopées aériennes et des envolées lyriques, où l'on passe constamment des ténèbres à la lumière, ou vice versa, chaque titre étant un voyage à lui tout seul, la beauté du désespoir en somme, une grande spécialité scandinave.
Les références sont donc nombreuses quand on écoute In Vain, au premier rang desquels on trouve Opeth, d'ailleurs les norvégiens n'ont jamais sonné autant comme leur voisin suédois, et tendent de plus en plus vers le Death Progressif mélancolique (rappelez-vous, la nature a horreur du vide, Opeth ayant sombré corps et âmes dans le rock prog, la place est libre sur le trône...), même si heureusement, In Vain conserve ses couilles et une grosse touche de Black, ensuite, on pense à In Mourning, Enslaved, Borknagar, et bien sûr Solefald...
Evidemment qu'on pense à du Solefald, car après tout, en dehors du chanteur Andreas Frigstad, les autres membres d'In Vain font partie de la version live de Solefald, et les rapprochements ne s'arrêtent pas là, car devinez qui vient jouer les guests sur l'album? ben ouais, Cornelius et Lazare de solefald, tout ça reste en famille, vu que Lazare est le frangin du clavieriste d'In Vain...
Aenigma est donc un voyage sur un flot ininterrompu de Death et de Black, un voyage où l'on se laisse porter par la capacité qu'à In Vain à mélanger ses influences afin de créer son propre son, sa propre personnalité, et un album au caractère bien trempé, aux multiples textures, mais bizarrement simple dans ses constructions, jamais In Vain ne s'aventure des structures trop complexes, comme conscient de la limite à ne pas dépasser pour ne pas perdre l'auditeur, conscient peut-être également de ses propres limites...
De ce fait, l'album s'écoute d'une traite, facilement, sans ennui, un exploit pour un disque qui affiche presque une heure au compteur, avec énormément de variétés, tout en restant cohérent, et cohésion est ici le maître mot, car bien qu'évoluant entre Death et Black, Aenigma conserve sa ligne directrice mélodique, et ce même si In Vain n'a jamais sonné aussi brutal dans l'esprit depuis Latter Rain, les lignes de guitares sont pleines de muscles et d'énergie, la batterie tabasse souvent sévèrement, et cette ligne de conduite ne fait que souligner l'important travail mélodique au niveau du chant clair, qui là aussi va nous faire voyager en clair obscur, avec une alternance entre des growls caverneux, death ou black, et un chant clair aérien, voir même d'obédience viking, comme ce Image of Time illuminé par la voix de Lazare, ou encore ce chant poignant à la frontière du hardcore sur le très long et excellent Culmination of the Enigma, de la diversité donc, l'avantage d'avoir à sa disposition plusieurs chanteurs de styles différents.
Mais alors si l'album est d'une beauté à couper le souffle, grandiose, mélancolique, épique, aérien tout en conservant ses muscles, où est la déception alors?
Elle est là justement, car tout ça était attendu venant d'In Vain, et Aenigma est un album sans trop de surprises et malheureusement trop prévisible, donc assez peu excitant, on ne sort jamais vraiment du son typique du groupe, qui ne se met jamais en danger, et qui laisse l'auditeur en terrain connu, surtout que la musique se fait ici plus épurée et encore plus simplifiée dans ses structures, à force de vouloir se rapprocher d'Opeth, In Vain a un peu oublié le côté "expérimental" de sa musique, voir même parfois le côté progressif, car en dehors de quelques passages atmosphériques du plus bel effet, quelques longueurs apparaissent au gré des titres, et jamais le groupe ne semble en mesure de proposer un passage plus atypique qui permettrait de relever la sauce et d'enfin surprendre un auditeur installé trop confortablement, le manque de moments mémorables se fait ici cruellement ressentir, et jamais un titre ne se détache plus qu'un autre.
Par ailleurs, vocalement, même si variété il y a, là aussi c'est sans surprise et "attendu", et la comparaison avec ce qu'a fait Borknagar l'année dernière avec Urd est à la défaveur d'In Vain, seul Lazare (également chanteur de Borknagar) apporte vraiment quelque chose de différent avec ses sonorités vikings typiques, mais tout cela est au final bien peu...

A défaut d'être un disque monumental, Aenigma n'est qu'un petit monument pour In Vain, un véritable travail d’orfèvrerie, certes, qui voit le groupe dérouler sa partition avec classe et précision, mais jamais les norvégiens ne parviennent à surprendre et à dépasser le cadre qu'ils se sont fixés, restant dans leur zone de confort, avec une musique surement plus simplifiée, épurée, qui ne manque pas de charme, mais on aurait espéré un peu plus car on sent que le groupe est capable de se surpasser et d'aller beaucoup plus loin que ce qu'ils font aujourd'hui.
Le voyage est beau, poignant, parfaite alliance d'agression sonore et de mélodie, et la déception est bien évidemment toute relative car In Vain reste largement au dessus de la mêlée, mais elle est malgré tout bien réelle, In Vain flirte avec l'excellence, comme à son habitude, mais ne franchit jamais le dernier palier qui l’emmènerait au panthéon des groupes nordiques essentiels...

Grand, beau, et prévisible...
4 / 5