mercredi 16 avril 2014

[Chronique] Triptykon - Melana Chasmata

Triptykon est surement le projet le plus personnel de l'illustre Thomas Gabriel Fischer, né des cendres encore fumante du second split de Celtic Frost, cette fois-ci surement définitif, le suisse avait su mettre toute sa rage et son amertume dans son premier album, Eparistera Daimones, Triptykon répondait au besoin de son créateur de mettre son âme à nue le temps d'un album, en en faisant une oeuvre cathartique, viscérale, d'une absolue noirceur, un album qui n'aurait pas pu exister sans les événements inhérents au split de Celtic Frost.
Quatre ans plus tard, la donne semble avoir changée pour Triptykon, devenant, plus qu'un simple projet solo de Tom G. Warrior, un véritable groupe, avec un line-up stable, des tournées, et donc ce second album, qui vient de sortir chez Century Media, à qui revient la lourde tâche de relever le défi d'être au moins aussi bon que son aîné, et on ne va pas tourner autour du pot bien longtemps, Melana Chasmata est irrévocablement moins bon qu'Eparistera Daimones, mais avant tout différent, car cette fois-ci, malgré la noirceur du propos, c'est une sorte d'apaisement qui prédomine...

Et c'est finalement bien le cœur du problème avec Melana Chasmata, toute la haine, la douleur, et l'expression de la déception de Tom Warrior ont plus ou moins disparu, et de ce fait, après la rage de son premier album, l'orientation est ici clairement plus Doom et contemplative, bien évidemment, la violence est toujours présente, mais de manière sous-jacente, et même si elle s'exprime parfois de manière inattendue, ce qui à tendance à en maximiser l'effet malgré tout, l'album fait désormais la part belle au côté plus Doom et Gothique de la musique de Triptykon, avec un parti-pris sonore plus que surprenant.
En effet, Warrior utilise ici un son de guitare très moderne, qui n'a pas la noirceur ni les aspérités qui faisaient la force d'Eparistera Daimones, avec des chansons qui n'ont pas du tout le même impact émotionnel, de ce fait, Malana Chasmata, qui se veut une expérience spirituelle, contemplative, manque de profondeur, et le suisse ne parviendra pas vraiment, sauf à de très rares exceptions, à nous plonger dans les abîmes comme il le faisait si bien il y a quatre ans, et l'on a vraiment du mal à s'immerger dans Melana Chasmata, où il manque la densité sonore, cette brume opaque et ravageuse, et ce manque d'intensité fait que l'album à tendance à manquer quelque peu sa cible, il est quand même étonnant de voir Warrior adopter un tel ton de guitare alors que son propos se veut plus profond et plus spirituel, et justement, ce parti-pris sonore, avec des riffs qui sonnent assez froidement et de manière très clean, ne permet pas vraiment de faire passer les émotions voulues, on ne peut bien sûr pas en vouloir au suisse de ne pas se reposer sur ses lauriers et de vouloir expérimenter des choses nouvelles, mais ce n'est pas vraiment la meilleure idée qu'il ait eu.
Bien sûr, ce ton de guitare moderne, plus froid et clean, permet un changement fondamental dans la musique de Triptykon, moins dense au niveau des riffs, c'est donc la basse qui se voit offrir un rôle plus prépondérant, un son de basse sur lequel va reposer la charge de donner plus de corps aux compositions, omniprésente sur la quasi totalité des titres, bien plus audible qu'il y a quatre ans, donnant véritablement une coloration plus Doom à Tryptikon, fonctionnant en osmose avec une batterie toujours aussi imposante, assez martiale, avec parfois certains aspects tribaux, un changement de paradigme pour le groupe qui a donc ses défauts, mais heureusement des avantages, en permettant au groupe de proposer une musique bien plus lisible et de travailler davantage sur les atmosphères, avec une clarté bienvenue après la noirceur infernale d'Eparistera Daimones, de ce fait, avec ces changements et ses parti-pris sonores, Melana Chasmata va s’avérer parfois un peu bancal, mais va, fort heureusement, parfois briller, par intermittence seulement, avec quelques titres admirablement composés et qui vont pleinement atteindre leurs objectifs.
Que l'album ait des défauts, pas de doute là-dessus, mais il serait idiot de résumer Melana Chasmata à une liste de défauts, surtout quand ceux-ci, quand ils s’agrègent convenablement, forment un tout permettant à Triptykon d'atteindre quelques sommets, je le dis une nouvelle fois, l'album va briller, mais par intermittence, car malgré les changements dans le son du groupe, cette orientation plus calme, plus Doom et gothique, Triptykon sonne toujours de manière originale, une fois encore, les influences Thrash, Death ou Heavy, héritées de Celtic Frost ou d'Hellhammer, voir même les sonorités plus industrielles d'Apollyon Sun, sont de la partie, ce qui fait que personne ne sonne véritablement comme Triptykon, il faut également ajouter que malgré le changement dans les textures, le riffing porte la signature Tom G. Warrior, de même que le chant très particulier demeure inimitable, en parlant de riffing d'ailleurs, le duo Warrior/Santura semble particulièrement sur la même longueur d'onde, peut-être plus que sur Daimones, et les deux ont tendance à se répondre l'un l'autre à coups de riffs, preuve une fois de plus que cet album est plus l'album d'un groupe que celui du seul Warrior, d'ailleurs, contrairement au premier album album intégralement composé par Warrior, les quatre membres du groupes sont crédités à la composition de la musique sur presque la totalité des titres.
Le changement est notable dès le premier titre, alors que le précédent disque s'ouvrait avec la noirceur totale de Goetia, on a cette fois-ci affaire à une curieuse bestiole à l'écoute de Tree of Suffocating soul, le titre est d'emblée direct, assez violent, mais avec des riffs acérés, l'attaque rythmique est massive, et la composition, très incisive au départ, va s'avérer très vite imprévisible, la solo arrive très vite après seulement deux minutes, le groupe va ensuite s'engouffrer dans quelques passages fortement appuyés et Heavy où l'on se croirait presque chez Sepultura tant cela sonne comme du Groove Thrash, avec notamment certains aspects tribaux, l'instrumentation orientale courte mais impactante, où encore la batterie qui sonne parfois de manière très tribale, c'est assez curieux, mais ça fonctionne à plein régime, de manière très directe, en mode destruction de cervicales pendant quasiment huit minutes, l'un des deux titres bourrin de l'album, l'autre étant Breathing, qui après une longue introduction qui va nous mettre sur une fausse piste Doom, va voir Triptykon brutalement accélérer et nous asséner une grosse torgnole dans la face, encore une fois d'obédience Thrashy avec un soupçon de Death, les moments de répits seront rares, la batterie bastonne, et le groove est omniprésent, et il faudra vraiment attendre la dernière minute et un ralentissement pachydermique typiquement Doom pour reprendre son souffle, le chant sur ses deux titres est également au diapason, on a presque droit à du Growl, et oui, les traditionnels Uuuh gutturaux sont toujours de la partie pour notre plus grand plaisir.
En dehors de ces deux titres détonnant, Melana chasmata va souvent œuvrer dans un Doom Gothique très lourd, particulièrement riche en ambiances, où, comme sur Eparistera Daimones, vont venir se mêler différents types de chants, celui de Warrior bien sûr, très typé, reconnaissable, pas mal de spoken words, surement plus qu'avant, certains vocaux masculins additionnels pour donner plus de diversité, et bien entendu le chant féminin de l'habituée des productions Warrior, Simone Wollenweider, particulièrement à la fête sur un Boleskine House en forme de ballade Doom gothique ténébreuse, apportant un contrepoint féerique aux hurlements et au spoken words de Warrior, pour un titre contemplatif, où la basse résonnante et grave à toute sa place, mais c'est justement sur ce genre de titres que l'on aurait aimé un son de guitare bien plus croustillant et dense, c'est un peu ce qu'il manque à un morceau comme Altar of Deceit, l'obscurité est bien présente, le tempo est écrasant, mais manque l'épaisseur et la densité pour que l'on se sente vraiment concerné par ce qu'il se passe, même le chant plein de Warrior semble forcé et tombe un peu à côté, et ce ne sera pas la seule fois où le groupe donnera cette impression de ne pas être en mesure d'apporter la densité suffisante à son édifice, ni la profondeur nécessaire à l'exercice, le très glacial Demon Pact, Spoken words mystérieux avec une basse à la limite du drone, où le groupe nous montre sa facette la plus industrielle et la plus froide, va manquer de tension dramatique et d'aspérités, les interventions de guitare n'ont pas vraiment d'impact, alors qu'on attend vraiment un punch et une montée d'adrénaline quand elles surgissent, ce n'est pas le cas ici, de la même manière, le monolithique Black Snow, pourtant le gros pavé du disque avec ses 12 minutes, va assez rapidement se révéler ennuyeux, on nage en plein Doom, particulièrement lourd et écrasant, mais le morceau défile sans que l'on se sente véritablement concerné.
Sans être particulièrement mauvais, loin de là même, tous ces titres ont pas mal de qualités et proposent tout un tas de trouvailles sonores plutôt judicieuses, le groupe est capable de bien mieux, In the Sleep of Death est une longue ballade Doom gothique glauque et flippante, un hommage à Emily Brontë où le chant de Warrior ainsi que les mélodies dissonantes vont amener une réelle tension dramatique sur l'intégralité du titre, la chanson a vraiment un impact émotionnel certain, une véritable chanson d'amour à un être perdu, avec sensibilité et noirceur, on a vraiment le sentiment que le Warrior est à deux doigts d'aller déterrer son Emily pour lui mettre une dernière danse, à moins qu'il ne soit déjà en train de copuler avec la dépouille, Aurorae fait également forte impression dans un registre Doom aux paroles désespérées, une admirable montée en tension, une lente progression, en spoken words, et ses guitares qui prennent progressivement du volume pour vraiment exploser dans les deux dernières minutes, avec une rythmique incroyablement heavy et des leads qui lui confèrent une réelle intensité, on regrettera juste que le dernier titre, Waiting, soit principalement un filler atmosphérique pour dire au revoir, et pas grand chose d'autre, encore une fois, ça aurait pu être très bon, mais l'absence de profondeur fait que le titre laisse un petit goût d'amertume dans la bouche...

Plus Doom, plus gothique, et plus accessible avec ses textures plus moderne et moins ténébreuse, certainement plus lisible aussi, Menana Chasmata entre dans une catégorie à part, celle des albums brillamment moyen.
La rage et la douleur ne sont plus vraiment présente, et c'est ici l'apaisement que nous propose Triptykon, avec un album souvent contemplatif, mais en optant pour un son plus accessible, le groupe perd en profondeur et en intensité ce qu'il gagne en lisibilité, mais ce changement n'est pas complètement négatif pour autant, j'imagine que jamais Triptykon ne surpassera en noirceur son premier album, et il fallait que Tom G. Warrior évolue vers autre chose, par ailleurs, on ne peut que saluer cette volonté qu'il a toujours de vouloir expérimenter des choses nouvelles, et de constamment vouloir avancer sans se reposer sur ses acquis, ce qui est tout à son honneur, rappelons quand même que ce type a participé à la "création" du Metal extrême et qu'il en maîtrise tous les aspects, Melana Chasmata est également une oeuvre moins personnelle et plus collective, les trois autres membres étant bien plus impliqués désormais dans le processus de composition.
Je ne peux au final que vous conseiller de l'écouter, malgré ses défauts, on est quand même dans le haut du panier du Doom Gothique, et Triptykon a un style toujours aussi original et presque inégalable, l'expérience Melana Chasmata est assez différente de celle proposée par Eparistera Daimones, qui était un véritable challenge sonore, une oeuvre profondément intègre et authentique, malgré ses défauts, qui en fin de compte lui donne une saveur toute particulière, ce n'est pas la grosse baffe attendue, l'impact n'ayant pas la même amplitude qu'il y a quatre ans, et l'album ne brille que par intermittence, mais quand il le fait, il est éblouissant...
(Et puis vous devez l'acheter, l'artwork de H.R Giger est somptueux, et le livret contient des annotations de Tom Warrior qui explique le sens des morceaux, plutôt indispensable donc...)

Brillamment Moyen
Track Listing:
1. Tree of Suffocating Souls 
3. Altar of Deceit
5. Aurorae
6. Demon Pact
7. In the Sleep of Death
8. Black Snow
9. Waiting