dimanche 31 mars 2019

[Chronique] Devin Townsend - Empath

Devin Townsend a beau toujours être super populaire avec une presse qui lui mange dans la main (parce qu'il faut bien avouer que le canadien est un super client pour eux) et une armée de fans hardcore qui achètera tout ce qu'il sort quoi qu'il arrive et peu importe le niveau de qualité ou de pertinence du produit (comme une tonne de live ou de coffrets divers), quand on regarde bien la discographie du bonhomme en suivant toutes les incarnations de ses projets solos, on réalise que cela fait bien quinze ans que Townsend sort inlassablement des disques daubés salement moyen voir médiocres, le Devin Townsend Band s'était mangé le bitume sur la fin, et les albums de la période Devin Townsend Project sont un enchevêtrement de machins foutraques alternant le moyen et le mauvais, bref, après une quinzaine d'années sans vraiment sortir un disque pleinement satisfaisant, on commençait même à oublier le génie qui habitait ses premières œuvres.

C'est ce qu'il faut bien réaliser avec Devin Townsend, le pic de sa carrière à eu lieu au tout début de celle-ci, en 97/98, City avec Strapping Young Lad et Ocean Machine et Infinity en solo, ne cherchez pas plus loin, Devin Townsend n'a jamais rien fait de mieux et ne fera jamais mieux que ces trois disques-là, la barre est bien trop haute pour être atteinte de nouveau, ce qui n'empêche pas qu'il a sorti des albums très corrects par la suite, il ne faut pas se méprendre là-dessus, mais on a vraiment touché le fond avec le Devin Townsend Project, dont on sera rassuré d'apprendre qu'il n'existe plus et surtout qu'un certain Chad Kroeger de Nickelback soit parvenu à dissuader Townsend de faire d'Empath un pur album de pop, ce qui aurait été ballot, car autant mettre les choses au clair dès le début, Empath est un retour éclatant au premier plan, où l'on retrouvera des bribes du génie créatif qui habitait Ocean Machine ou Infinity, Empath est de très très loin le meilleur album de Devin Townsend depuis une quinzaine d'années.
On sera donc soulagé qu'Empath n'est pas une daube réchauffée bancale molle à la Transcendence ou Epicloud et que ce n'est pas un énième épisode d'un show radio lourdingue et périmé comme Ziltoid, le fait que Devin Townsend ait rejoué en intégralité Ocean Machine en live l'année dernière a possiblement aussi joué dans cette volonté de se reconnecter avec cette époque, mais ce n'est pas seulement cela, Empath est un pot pourri de tout ce que sait faire Devin Townsend, un peu comme à chaque fois me direz-vous, oui, mais la différence est qu'ici, Townsend nous balance enfin un disque cohérent du début à la fin, et ça fait plaisir de retrouver ce sentiment de cohérence et d'épanouissement chez le canadien, il suffira de juste écouter le premier vrai morceau Genesis pour réaliser que l'inspiration est de retour, ce titre résume assez bien ce que sera l'album, les références à Strapping Young Lad sur les passages Heavy, les orchestrations grandioses et grandiloquentes, le délires jazz/disco/Prog, les atmosphères empruntés à la période Ghost, les chatons qui miaulent, la chorale, les éléments acoustiques, six minutes de folie et de génie comme la somme de plus de vingt ans de carrière, ce que sera également l'album, ce morceau aurait très bien pu être présent sur Infinity.

L'intégralité de ce qu'à fait Devin Townsend depuis vingt ans est présent sur cet album, sans que jamais cela sonne comme du réchauffé malgré tous les emprunts à sa propre discographie, toutes les époques sont représentées, à part peut-être le punk de Punky Brüster, ce qui n'est pas fondamentalement une grosse perte, Spirits Will Collide continue avec un déluge d'arrangements orchestraux comme un gigantesque morceau de Gospel Rock que l'on pourra trouver un peu trop inspiré de Where we Belong, cette inclinaison à la pop orchestrale d'Epicloud sera aussi en vigueur sur Evermore, mais là ou c'était chiant sur toute la durée d'un album, ça passe beaucoup mieux sur des morceaux de cinq minutes, ce qui passe également très bien, ce sont les grosses références à Strapping Young Lad, Evermore a un bonne montée en tension agressive qui fait plaisir, mais il y a surtout Hear Me qui se pose comme une explosion de saveur et d'émotions, le genre de morceau complètement barré avec ses références à City et ses multiples changements de direction, le morceau comptera également sur les participations d'Anneke van Giersbergen et de Chad Kroeger, on trouvera un autre gros rappel à SYL sur le troisième mouvement There Be Monsters au milieu du titre fleuve Singularity qui clôture l'album.

Malgré tout ça, on est chez Townsend, et même si c'est enfin redevenu cohérent, on évite pas quelques passages plus que limites, Sprite est l'exemple typique du morceau posé là à l'arrache connecté à rien et qui n'est rien d'autre qu'un filler insipide, Why? aura le même problème, c'est Devin Townsend qui chante sur un orchestra symphonique et une chorale et rien d'autre, ce n'est pas forcément intéressant mais comme le gars a dépensé plus de 100000$ pour s'attacher les services d'un orchestre il fallait bien rentabiliser l'investissement, Borderlands est un morceau qui a tendance à pioncer en développant la facette la plus calme de Townsend, où on ne retiendra réellement que les soubresauts métalliques et les délicieux délires bizarroïdes, reste le cas de Singularity, gigantesque pavé de vingt-trois minutes qui est à l'image de Townsend, ambitieux, dantesque, excessif, et foutrement bordélique, il y a à manger pour tout le mondes et de sacrées fulgurances géniales dans un ensemble bigger than life qui déborde d'emphase et d'idées par forcement toutes développées entièrement.

Quand je vous disais que c'est le meilleur album de Devin Townsend depuis quinze ans, ce n'est pas non plus une révolution ou l'album du siècle, cet album est avant tout un condensé de toute la carrière du canadien, comme une bonne rétrospective, là où il fait la différence, c'est en se reconnectant avec l'inspiration des débuts, ce qui fait que l'album, même s'ils comprends des éléments piochés dans sa discographie, ne va jamais trop sonner comme du recyclage, et Empath développera une certaine fraîcheur bienvenue malgré un son toujours aussi dense, car entre la chorale, l'orchestre symphonique et les nombreux guests il y aura de quoi tomber dans la bouillie indigeste, mais ce n'est pas du tout le cas avec une production qui évite le brickwall contrairement à certains albums précédents même si les orchestrations sont toujours traitées de manières un peu froide chez Townsend.

Quoi qu'il en soit, Empath est un album fun, barré, inspiré, par moment très chaotique, avec quelques baisses de tension gênantes, mais souvent traversé de fulgurances géniales, et même si c'est loin d'être parfait, avec une tendance à être comme d'habitude parfois un peu trop ampoulé, c'est tellement généreux et sincère qu'on lui pardonnera bien ces quelques problèmes, en tout cas cela faisait bien longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir à écouter un album de Devin Townsend, pourvu que ça dure...
Track Listing:
1. Castaway  02:30
2. Genesis  06:05
3. Spirits Will Collide  04:39
4. Evermore  05:30
5. Sprite  06:37
6. Hear Me  06:30
7. Why?  04:59
8. Borderlands  11:02
9. Requiem  02:46
10. Singularity (Part 1: Adrift)  04:59
11. Singularity (Part 2: I Am I)  03:29
12. Singularity (Part 3: There Be Monsters)  04:37
13. Singularity (Part 4: Curious Gods)  03:08
14. Singularity (Part 5: Silicon Scientists)  02:55
15. Singularity (Part 6: Here Comes the Sun)  04:22