mercredi 27 février 2019

[Découverte] Kaleikr - Heart Of Lead

Depuis une dizaine d'années, l'Islande est devenue une solide place forte du Metal, avec un nombre de groupes assez étonnant pour un pays de 350000 habitants, et le développement d'une scène extrême plutôt singulière et de qualité, plutôt enclin à l'exploration sonore.
C'est sur les cendres d'un groupe de Black nommé Draugsól, qui avait sorti il y a deux ans un excellent premier album, que s'est formé Kaleikr, désormais un duo comprenant le batteur Kjartan Harðarson et Maximilian Klimko pour... tout le reste, et il ne sera pas trop question de Black cette fois-ci, car même si Kaleikr a gardé de sa précédente incarnation le goût des structures alambiquées et des atmosphères dissonantes, Heart of Lead naviguera dans le Death Metal blackisé du genre abstrait et teinté de post-Metal progressif.

Autant le dire tout de suite, Heart of Lead est probablement l'album le plus enthousiasmant que j'ai écouté depuis le début de l'année, et pas seulement dans la catégorie Death Metal, Kaleikr ayant cette incroyable capacité à faire du neuf avec du vieux, car après tout, la base de ce que font les islandais ici se rapproche des premiers Opeth et des vieux Enslaved, ce qui est déjà, vous en conviendrez, plutôt solide comme base, et il fallait bien ça pour soutenir tous les développements progressifs qui traverseront chaque composition de l'album, on a affaire à un groupe qui a énormément d'idées et la volonté de dépasser certains clivages du Death, à tel point que parfois, pour la bonne cause, le Death passera au second plan, ce qui sera peut-être un point d'achoppement pour certains qui espéreraient une musique plus centrée sur les riffs, ce qui n'est pas vraiment le cas ici, Kaleikr flirtant souvent avec le post-Metal en privilégiant le développement d'atmosphères et les structures malléables.

Heart of Lead est un album de post-Metal plutôt ambitieux pour la masse de références que l'on peut y trouver, entre le Death progressif, le Doom, le sludge, quelques touches de Black et une bonne louche d'atmosphérique, ce n'est pas une surprise de voir que les morceaux atteignent une bonne moyenne de sept minutes, le temps de laisser se développer toutes les idées et les différentes textures et éléments sonores utilisés, Kaleikr est du genre dense et touffu, tout en ayant une capacité à proposer des morceaux très accessibles malgré leur complexité, Beheld at Sunrise va être le premier gros pavé du lot, un build-up qui pose une atmosphère mélancolique avant de partir dans une sorte de Black/Death rugueux et furieux avec un growl tout ce qu'il y a de plus caverneux et viscéral, évidemment ce ne sera que temporaire et les islandais ajouteront tout un tas de trucs en cours de route, ici un peu de post-Rock, là des éléments de Doom atmosphérique, notamment quand Kaleikr nous sort son combo leads plus violon du plus bel effet.

Le violon sera un élément récurrent de la première moitié de l'album, The Descent comportera une large plage plus atmosphérique avec des arrangements de cordes au sein d'un phénoménal build-up de Death prog abstrait qui voit le groupe naviguer entre l’extrémisme radical du Black/Death et les ouvertures aériennes contemplatives dans un ensemble plutôt iconoclaste qui malgré tout fonctionne à plein régime, on est d'ailleurs pas loin d'A Forest of Stars sur les passages les plus blackisés où résonne un violon vibrant en arrière-plan, et en parlant de références Black, difficile de ne pas citer Ihsahn sur des morceaux progressifs comme Internal Contradiction et Neurodelirium, qui œuvrent dans un éclectisme moderne et bigarré, surtout un Neurodelirium chargé d'informations et de passages mémorables, plus labyrinthique encore sera la dernière pièce Eternal Stalemate and a Never-ending Sunset, qui démontre encore la capacité des islandais à créer des ambiances contemplatives à forte dimension émotionnelle tout en maintenant une certaine cohésion et une tension de tous les instants.

Malgré tout, il y a quand même quelques petits défauts, il y a un côté répétitif par moment, surtout dans les riffs et leur coloration, mais c'est peut-être la conséquence d'une production un peu étrange, qui étouffe un peu les guitares et qui fait perdre à l'album un peu de dynamisme, on perd un peu la trace du violon par moment, qui disparaît inexplicablement dans le mix, mais c'est excusable vue la masse d'éléments qui composent les morceaux, on pourra aussi reprocher à Kaleikr un petit manque d'identité, avec des influences un peu trop évidentes (Opeth et Ihsahn en tête) et surement pas encore suffisamment digérées, l'album est un trop référencé et on a tendance à se demander d'où vient tel ou tel passage et où on l'a déjà entendu, les islandais on encore du boulot, mais le projet est jeune et c'est leur premier effort sous ce nom-là dans un genre très différent de leur ancien groupe.

Bref, il y a pas mal de petits trucs gênants, mais rien qui gâchera le plaisir d'écoute, Heart of Lead est l'album le plus enthousiasmant de ce début d'année, du genre à placer Kaleikr sur la short-list des groupes à suivre dont on attend beaucoup à l'avenir.
Pour le moment, on a affaire à un très bon premier effort de Death progressif abstrait et iconoclaste, flirtant avec le Black, naviguant dans le post-Metal, chargé d'atmosphères et d'émotions, Heart of Lead est foutrement impressionnant pour un premier album, ne passez pas à côté.