vendredi 20 janvier 2017

[Chronique] Sepultura - Machine Messiah

C'est la première "grosse" sortie de l'année, et comme il s'agit de Sepultura, il est évident que ça va diviser, car le monde se sépare en deux catégories, les fanatiques du gros sac-poubelle brésilien Max Cavalera et de son frangin qui a retourné sa veste, et ceux qui n'ont pas quitté le navire après Roots, je ne vais pas trop revenir sur ça, je vous renvoie à mon introduction de l'album précédent de Sepultura où je vous explique globalement où je me situe là-dedans.
Bref, The Mediator Between Head And Hands Must Be The Heart, c'était un disque cool, et plutôt clivant, comme tout ce qu'à pu faire Sepultura depuis une vingtaine d'années, pour aborder ce nouvel album, il faut bien être conscient d'une chose, Sepultura n'en a absolument rien à branler de ce que pensent les gens, et pas seulement les haters pro-Cavalera, Kisser et ses potes se voyant davantage comme une force créative qui se remet constamment en question plutôt que comme un groupe qui se doit de ne pas prendre de risque afin de défendre son héritage, on ne peut au moins pas leur enlever ça, leur volonté d'avancer et de regarder devant soi, tant pis si ça choque les gens, tant pis également si, comme c'est le cas avec Machine Messiah, l'expérience part un peu en vrille en cours de route.

Sepultura 2.0 n'ayant jamais fait les choses comme tout le monde, prenant plaisir à aller précisément là où on ne les attend pas, on ne sera pas surpris que Machine Messiah soit assez différent des albums précédents, ce qui n'est pas surprenant non plus, c'est que la qualité de l'album sera branché sur courant alternatif, car Sepultura ayant tendance à beaucoup expérimenter, les résultats ne sont pas toujours conformes aux attentes, Machine Messiah est en quelque sorte à l'image de la discographie post-Roots du groupe, un laboratoire d'idée qui donne une sacré collection de Hit and Miss, Machine Messiah a des qualités, des défauts, et ne cherchent pas à cacher ses derniers, le groupe nous offrant un disque tout ce qu'il y a de plus décousu et limite bordélique, m'est avis qu'à force de vouloir expérimenter à tout prix, Kisser et Cie se sont un peu perdus en route.

Ce qui est plus habituel chez Sepultura, c'est bien le fait de manier des concepts qui imprègnent plus ou moins la musique, Machine Messiah n'est pas du tout un concept-album à proprement parler, il s'agit davantage d'un concept sous-jacent comme une ligne directrice implicite, ici il s'agit de remettre l'humain au cœur du projet, les machines c'est pas cool et la technologie n'est pas super bien utilisée, ouais, Sepultura est un groupe engagé qui dénonce, on attend le concept le capitalisme c'est pas bien ou un disque sur la pluie qui nous gâche la journée, ok, j'exagère, le concept on s'en tamponne pas mal ici, il ne donne qu'une orientation générale.

Comme je vous l'ai dit précédemment, Sepultura n'a pas envie de faire deux fois le même disque et n'en à rien à carrer de choquer les gens en les prenant au dépourvu, et dans cette optique, Machine Messiah s'ouvre par un morceau éponyme plutôt nul, ouais, c'est comme ça, ce morceau est une espèce d'introduction atmosphérique trop longue bien faiblarde et chiante qui donnera l'occasion à Green d'utiliser un peu de chant clair, on peut dire que ça commence bien hein!

Fort heureusement, sans doute conscient de son ouverture dégueulasse, Sepultura va nous balancer avec I Am the Enemy une bonne vieille torgnole dans la gueule, un morceau court, incisif, sorte de Thrash mêlant Groove et Punk, c'est pas du génie, c'est prévisible à mort, mais il faut avouer que ça envoie le steak et que ça fait du bien par où ça passe, il faut en profiter car Sepultura va être bien avare en brûlot avec cet album, Vandals Nest sera lui aussi très court et sauvage mais inclura un curieux chant clair et quelques éléments ethniques dans les leads.
Bien sûr il sera malgré tout question de Thrash sur cet album, mais du Thrash à la Sepultura, chargé de bizarreries et de références World Music ethnique, et comme on est chez Sepultura, le résultat du mélange sera à géométrie variable, prenez Phantom Self, il est cool ce titre, au début désarçonnant avec son orchestre oriental qui semble s'être échappé de chez Orphaned Land, mais le morceau va vite prendre son rythme de croisière et s'avérer carrément cool pour sa dimension progressive, car l'orchestre va se retrouver pleinement intégrer au morceau, et c'est à partir de là qu'on se rend compte que Kisser a décidé d'emmener le groupe en territoire progressif et d'expérimenter avec de très nombreuses orchestrations, avec tous les risques que cela implique, l'album précédent avait eu tendance à errer dans l'ethno-tribal vers la fin, ici ce sentiment d'errance va commencer beaucoup plus tôt, le quatrième morceau Alethea vagabondera dans une espèce de mid-tempo ambiancé où l'excellent drumming tribal ne sauvera pas de l'ennui un morceau décousu et sans but précis, et niveau bordel, Iceberg Dances atteint un sacré niveau dans le "on vous emmerde on fait n'importe quoi", un instrumental comme un patchwork bizarre où la musique ethnique côtoie de l'orgue typé Prog seventies et des éléments acoustiques.

Où le groupe veut en venir? aucune putain d'idée, Machine Messiah ressemble parfois à tout un tas d'idées lancées au hasard dans des morceaux à la construction bancale et pas souvent judicieuse, globalement, tout l'album sera confus au possible, alternant constamment le bien et le moins bien, de morceaux comme Sworn Oath, Resistant Parasites ou Silent Violence se dégagera le même sentiment de confusion, Silent Violence ayant au moins pour lui d'être une sacré baffe dans la gueule et Sepultura y dégagera une sacré intensité, tout au moins dans la première partie, Sworn Oath et Resistant Parasites proposeront des moments parfois bluffant à base de Groove tribal particulièrement efficace avec un Derrick Green qui vomit ses tripes comme si ça vie en dépendait, mais partent systématiquement en vrille à un moment ou un autre, on retrouve sur ces morceaux de nombreux éléments orchestraux, on culminera dans le caractère bordélique avec l'ultime Cyber God qui part dans tous les sens sans aucune direction précise, c'est du merdier pur et simple.

Ce qu'on peut se demander aujourd'hui, c'est quelle est l'identité de Sepultura, que le groupe expérimente, ok, pas de problème, mais au gré des titres, on a l'impression d'écouter plusieurs groupes bien différents, il manque à Machine Messiah une vraie cohérence, un but précis à atteindre, ici, on a affaire à un disque expérimental qui mélange maladroitement du vieux Sepultura, du Sepultura récent, du tribal, de l'orchestral, du groove, du Hardcore, du Thrash, et on a du mal à s'y retrouver, ce disque est aussi bordélique que Nation, c'est dire, il faut souligner également que le groupe n'est pas aidé par une production de Jens Bogren tout à fait impersonnelle qui ressemble à n'importe quelle production de Bogren, avouez que pour un album qui se veut centré sur l'humain, la production de masse des usines Bogren ça la fout un peu mal, par ailleurs, je crois que Kisser devrait arrêter de prendre Sepultura pour son laboratoire musical personnel et réserver ses expérimentations à ses autres projets comme De La Tierra, car à force de muer à chaque album, de constamment vouloir changer, d'évoluer à tout prix, plus personne ne sait à quoi ressemble Sepultura aujourd'hui, un groupe dont l'identité s'est ici dissoute dans les expérimentations bancales, un groupe qui s'est surement laissé emporté par son propre processus de création, ou quand la raison se fait submerger par une vision artistique qu'il n'avait peut-être pas les moyens de réaliser.

Après quelques albums qui redressaient la barre, notamment un Mediator plutôt très bon, Sepultura retombe dans ses travers et a décidé de faire un peu n'importe quoi, ce qui n'est pas forcément surprenant de la part d'un groupe qui a fait de l'inconsistance sa seule constante depuis vingt ans.
Certes, Machine Messiah est ambitieux, progressif, et navigue dans des eaux nouvelles pour lui, avec tout un tas d'orchestrations et d'éléments world music, même Green se montre plus versatile avec une utilisation plus prononcée du chant clair, mais au final, Machine Messiah est une déception, car rien n'est véritablement maîtrisé ici, il y a de tout sur cet album, du bon, du mauvais, du bof, du groove tribal progressif oriental, du Thrash symphonique hardcoré, c'est un joyeux bordel du début à la fin.
Sepultura a une fois encore pris des risques, et quand on prend des risques, on augmente aussi la probabilité de se vautrer, Machine Messiah n'est pas non plus un gros échec, il y a malgré tout de très bons trucs dedans, mais il y a trop de déchets pour que ce soit acceptable, une autre fois peut-être, car Sepultura a toujours rebondi quoi qu'il arrive, de toute façon, vu comment c'est parti, le prochain album sera forcément complètement différent de celui-ci, à tort ou à raison...
Track Listing:
1. Machine Messiah  05:54
2. I Am the Enemy  02:27
3. Phantom Self  05:30
4. Alethea  04:31
5. Iceberg Dances  04:41
6. Sworn Oath  06:09
7. Resistant Parasites  04:58
8. Silent Violence  03:46
9. Vandals Nest  02:47
10. Cyber God  05:22