samedi 20 janvier 2018

[Chronique] Abigor - Höllenzwang (Chronicles of Perdition)

Abigor n'est pas le groupe de Black le plus accessible ni le plus facile à suivre dans le genre, le combo autrichien a toujours navigué dans l'underground au gré de ses envies, en ne faisant jamais aucun compromis, et surtout, Abigor n'a jamais eu peur de s'aliéner ses plus anciens fans, ces derniers ayant été probablement désappointés par le virage expérimental/avant-gardiste/industriel das années 2000, pourtant, ce n'est pas comme si cette propension au changement était surprenante venant d'un groupe qui a toujours su proposer et développer une approche du Black toute personnelle et inimitable depuis le début, et une fois encore, Höllenzwang (Chronicles of Perdition) emmènera l'auditeur là où il n'avait pas forcément prévu de se rendre, quoique...

Ceux qui ont un peu suivi les aventures des autrichiens avaient sans doute compris qu'avec Leytmotif Luzifer il y a trois ans, le groupe se dirigeait vers le délaissement des ses éléments les plus clivant et expérimentaux afin de revenir à un Black d'une certaine manière plus classique, même si bien entendu, on reste dans le cadre de cet Abigor post-Satanized qui depuis sa reformation en 2006 évolue dans un Black chaotique, déstructuré et incroyablement sophistiqué, tout cela étant doublé d'une remarquable complexité le rendant délicieusement cryptique et malfaisant, Höllenzwang continuera dans cette démarche de simplification engagée avec Leytmotif Luzifer, conservant les bases du Black orthodoxe à la Abigor, abandonnant quelque peu l'expérimental, mais demeurant toujours aussi unique qu'il peut être tordu et complexe.

Il n'en reste pas moins que l'on assiste ici à une sorte de marche-arrière, le maître-mot de Höllenzwang semblant être le minimalisme, mais un minimalisme à la Abigor, c'est à dire traversé d'excentricités, un album où les autrichiens tentent d'une certaine manière de récupérer l'essence du Black Metal originel, par une exécution très old-school qui renvoie directement au Black du début des années 90, avec son riffing simplifié et son absence de blast-beat, All Hail Darkness and Evil, titre d'une délicieuse naïveté typique de l'époque à laquelle elle se rapporte, sera une véritable déclaration d'intention où Abigor s'impose volontairement des limitations techniques afin de conférer à son morceau un caractère raw minimaliste dégageant une ambiance malsaine et tourmentée, un blizzard sonore particulièrement dense et chargé d'atmosphères, avec ses leads simplistes, ses quelques samples vocaux, des chœurs, et de discrètes orchestrations qui donne un peu de volume et d'emphase à un titre rugueux et diaboliquement sulfureux.

Partant de là, avec une telle démarche, n'attendez pas non plus des paroles cryptiques et intellectuelles, on est dans du satanisme bas-de-plafond et naïf à l'ancienne, déclamé par un Silenius incroyable de justesse et de versatilité, que ce soit dans les cris et hurlements inhérents au genre ou son chant clair dégueulasse et incantatoire, Sword of Silence sera marqué par les excentricités vocales mais aussi par quelques figures de style qui nous rappelle qu'on est bien chez Abigor, le riffing prenant parfois des inclinaisons industrielles et pas mal de détails sonores renvoient directement à la dimension expérimentale des autrichiens, car il faut noter que même si le minimalisme est à l'honneur, ce n'est pas pour autant simpliste, et Abigor va souvent s'engager dans des structures torturés et alambiquées.

Le problème inhérent à cet exercice, c'est que Höllenzwang va s'avérer un peu trop confus, avec des morceaux qui semblent parfois être des montages aléatoires qui ne fonctionnent pas vraiment, None Before Him est de ces morceaux bordéliques à mort où l'on ne comprend rien à ce qui se passe tant le titre part dans tous les sens et mélange absolument tout et n'importe quoi, alors ouais, c'est evil à mort, ça croustille, c'est malaisant, mais c'est surtout du merdier, ce morceau fait d'ailleurs parti d'un triptyque central avec The Cold Breath of Satan et Olden Days où Abigor part complètement en vrille dans un patchwork trve kvlt qui n'a aucun sens, c'est dommage car les autrichiens sont capables de bien mieux sur ce disque, Black Death Sathanas va introduire un peu d'acoustique et énormément d'emphase à un morceau superbement massif et effrayant qui n'oublie pas d'appuyer sur l’accélérateur de temps en temps, alors que Hymn to the Flaming Void va vraiment tabasser sévèrement avec une abnégation qui fait plaisir et le développement d'atmosphères démoniaques dans le cadre d'une décharge Black à l'énergie Punk revigorante, Christ's Descent Into Hell ne sera pas le meilleur morceau de la galette, mais il vaut malgré tout le détour pour l'ambiance délétère qu'il dégage, ces ambiances étant probablement ce que le groupe réussit de mieux sur ce disque.

Un disque étrange d'ailleurs, car même s'il marque le retour à la simplicité et à un certain minimalisme dans ses intentions, Höllenzwang reste malgré tout imprégné d'une certaine complexité et d'inclinaisons expérimentales, comme si malgré ses velléités old-school, Abigor ne pouvait pas s'empêcher de trop intellectualiser sa musique et d'y ajouter une bonne couche de sophistication qui ont tendance à nuire à l'album, en le rendant difficile à suivre et particulièrement épuisant, ce qui est gênant pour un album de trente-cinq minutes, Abigor passe souvent du coq à l'âne sans aucune transition, sans réelle justification non plus.

Si avec Höllenzwang Abigor souhaitait récupérer l'essence même du Black Metal, ce n'est qu'à moitié réussi, car malgré son caractère sulfureux et véritablement blasphématoire, ainsi que ses ambiances rugueuses et diaboliques, Höllenzwang est avant tout un gros bordel inutilement complexe, une complexité dans les structures qui s'oppose à la volonté de simplification dans l'exécution, et qui crée un décalage constant et ce sentiment qu'Abigor se force à ce "retour en arrière", comme s'il n'en avait pas envie plus que ça et que cette orientation n'était due qu'à la volonté de sortir un album de Black pur et dur afin de célébrer les vingt-cinq ans du groupe et offrir un petit cadeau aux fans les plus anciens.

Quoi qu'il en soit, malgré ses défauts, sa narration incohérente et ses excentricités parfois à côté de la plaque, il y a souvent du très bon dans Höllenzwang, principalement quand Abigor déconnecte sans cerveau pour nous proposer du bon gros Black à l'ancienne, dense, rugueux et décadent, ce qui nous donne un album particulièrement bancal, constamment partagé entre l'Abigor expérimental de ces dix dernières années et la volonté de recoller de manière parfois un peu trop artificielle à ce qu'il était il y a vingt ans, reste d'Höllenzwang un album compliqué, difficilement accessible du fait de ses partis-pris sonores, et inutilement trop complexe, où l'appétence du groupe pour les structures chaotiques nuit à un ensemble qui se veut minimaliste, bref, un album qui sait où il va, mais qui se trompe souvent de chemin pour y aller, et qui finit donc par se perdre en route, même si l'on pourra objecter que même si on arrive pas a destination, on prend un certain plaisir à déambuler jusque la perdition avec les autrichiens.