jeudi 8 mai 2014

[Chronique] Arkona - Yav

Arkona a toujours eu un peu le cul entre deux chaises, constamment partagé entre le fait de développer un Pagan Metal original et personnel, et également la volonté de plaire au folkeux de base, ouais, le débile bourré en kilt qui s'éclate sur des chansons à boire simplistes, d'ailleurs, pour avoir vu le groupe deux-trois fois sur scène, j'ai toujours trouvé dommage que les russes mettent l'accent sur les titres les plus Patrick Sebastien de leur répertoire, alors que leur musique est souvent radicalement différente sur album.
Il y a trois ans, Slovo était marqué par cette dichotomie, et cette volonté de rassembler les deux franges du public Folk païen, l'ivrogne et le rêveur, un qui attend de l'efficacité pure et simple en en ayant rien à foutre que le groupe déverse tous les clichés de la chanson à boire, et l'autre qui attend de longs titres sombres, épiques, ambitieux et contemplatif, de ce fait, Slovo était bancal, plutôt bon, mais une fois encore, les russes ne semblaient pas foutus de choisir dans quelle direction aller, toujours avec cette volonté de ménager la chèvre et le chou, ce qui est rarement une bonne idée, avec Yav, la donne est différente, et ce nouvel album marque un réel tournant stylistique dans la discographie des russes...

Quoi!? Arkona évolue???
...
Et Arkona évolue en... Borknagar!
Wait... What?
Vous le savez, j'aime bien les raccourcis, celui-ci en est un, qui sert principalement à synthétiser grossièrement la démarche d'Arkona avec son nouvel opus, un Yav qui prend un tournant tellement progressif qu'il va devenir de plus en plus compliqué de classer les russes dans la catégorie Folk si ça continue comme ça.
C'est là tout l'enjeu de Yav, évoluer, partir dans une nouvelle direction, sans pour autant sacrifier totalement les recettes qui ont fait le succès du groupe par le passé, un véritable exercice de style que cet album, constamment partagé entre tradition et modernité.
Bonne nouvelle, les influences Folk et Polka des russes sont ici bien moins présentes que par le passé, et c'est le côté Black païen qui se retrouvent accentués, Arkona faisant du Black, ce n'est pas du tout une nouveauté, mais les russes ne vont pas renouer avec les aspirations Raw Black originelles, c'est une autre forme de Black qui est explorée ici, moins obscure et abrasive, et c'est donc ce Black d'inspiration progressive, très clean, qui va donner toute sa personnalité à Yav, conjuguant désormais une violence contenue avec des passages très mélodiques et mélancoliques, une orientation progressive qui se ressent par l'utilisation de sonorités différentes, plus aventureuses, notamment du piano et pas mal d'éléments acoustiques, qui tranchent avec les instrumentations folk habituelles, bien sûr, on va se taper notre quota de biniou, tambourin, flûte, et toute la fanfare de la fête foraine, mais de manière contenue, et surtout bien mieux intégrée que par le passé.
Les compositions n'ont peut-être jamais été aussi riches et complexes, et Arkona va prendre son temps, avec des titres longs, mais dans des limites raisonnables, tout en conservant, et c'est là l'évolution majeure, une étonnante fluidité malgré les soubresauts et les changements de direction multiples, le groupe a clairement bossé les transitions afin de rendre sa musique la plus fluide possible, tout en continuant de proposer une musique plutôt dynamique, seulement voilà, avec moins de Folk et une orientation plus progressive, Yav devient un truc plutôt complexe à appréhender et à digérer, car moins facilement accessible.
De ce fait, Yav n'est pas vraiment un album catchy, loin de là, ce qui risque de laisser dubitatif une partie de sa fan base, Arkona semble bien décidé à abandonner les structures basiques, et à sacrifier quelque peu de sa force de frappe, la musique ici est moins immédiate, avec des russes qui s'enfoncent dans un long voyage introspectif, avec une sacré dose de mélancolie et de nostalgie, les atmosphères vagabondent, avec un excellent sens du rythme et un dynamisme certain, et l'on a même parfois le sentiment que le Metal passe au second plan au profit des orchestrations et de la voix de Masha (Serbia, par exemple).
Malgré les structures complexes, la dimension atmosphérique supplémentaire, et bien entendu le côté progressif accentué, Arkona se retrouve parfois coincé dans sa formule, et a recours à quelques facilités d'écriture, c'est ainsi que l'on retrouve parfois des riffs et des rythmiques un peu simplistes, presque dansantes, relents de ce qu'était le groupe par le passé, Chado indigo notamment, mais qui ont tendance à ne plus vraiment coller avec ce que veut faire le groupe aujourd'hui, et Yav donne parfois le sentiment de ne pas toujours assumer sa nouvelle orientation, et Arkona a parfois besoin de se rassurer avec deux-trois clichés, la peur de l'inconnu sans doute, et ce besoin constant de faire le lien avec le passé, malgré une maîtrise exemplaire de sa nouvelle formule, en fait plus un album de transition qu'une oeuvre totalement aboutie.
Attention, ne vous méprenez pas, Yav n'en demeure pas moins un excellent disque de Metal païen, et les moments réjouissants seront assez nombreux, Zarozhdenie, le premier titre, est plutôt malin dans sa construction, on a affaire à une longue introduction qui va progressivement prendre de l'épaisseur, avec pas mal de changements de direction et de nombreuses variations vocales, l'un des gros point fort du groupe depuis le début, l'étendue de la palette de sa chanteuse.
Masha Scream est ce qu'il se fait de mieux dans le Folk Game, une chanteuse très versatile, qui sait naviguer entre un chant growlé et des incantations shamatiques, sa voix alterne toujours aussi bien entre les envolées lyriques et la rugosité du chant criard, avec une différence notable cette fois-ci, car afin de coller à l'atmosphère très introspective de l'album, elle semble se contenir, et nous offre souvent un chant à la limite du spoken words, très posé, ce qui renforce le sentiment de fluidité qui émane de Yav, avec des lignes de chants proches de l'incantation, très poétiques, le growl n'est jamais véritablement poussé à l'extrême, et est même souvent utilisé simplement afin de doubler le chant clair, pour souligner certains passages et apporter une dimension supplémentaire, ainsi qu'une réelle profondeur.
Même si le groupe sacrifie parfois à quelques raccourcis et facilités Folk, il n'en demeure pas moins que Yav nous montre un groupe plutôt à l'aise dans sa nouvelle orientation, en nous offrant des morceaux plutôt bien construits et souvent surprenants, car en plus des instrumentations folk, on retrouve une petite touche d’électronique qui rend l'ensemble assez tourné vers la modernité malgré le passéisme du propos, après tout, c'est du Pagan, ça parle de vieilles traditions poussiéreuses et de mythes obscurs du folklore slave, mais comme je ne parle absolument pas russe, je dois bien vous avouer que je n'y comprend pas grand chose.
Cette orientation progressive et atmosphérique permet véritablement aux russes de proposer de réels contrastes au sein de morceau très longs, qui dépassent souvent allègrement les sept minutes, Na strazhe novyh let ou encore Zov pustyh dereven'  fonctionnent sur l'opposition de style entre le Black rentre-dedans et les aérations ambiancées dominées par des arrangements épiques brillamment maîtrisés, et cette ambivalence permet à Arkona de proposer une musique très dynamique, parfois intense, avec des accélérations Black qui agissent comme une tornade qui vous emporte sur des rivages atmosphériques, et l'on pense souvent à du Moonsorrow pour ce côté épique, Ved'ma notamment, même s'il faut bien avouer que tout cela n'est pas exempt de quelques défauts, Arkona ayant parfois du mal à tenir sur la durée et va se perdre un peu dans des structures pas franchement cohérentes, le long titre éponyme de plus de treize minutes en est un bon exemple, le chant n'y est pas toujours très judicieux, avec des transitions pas franchement heureuses, V ob'jat'jah kramoly est au premier abord plutôt surprenant, quasiment un titre de Black atmosphérique, mais se révèle trop long et très répétitif, Gorod snov souffrant quand à lui d'une structure un peu simpliste, avec des mélodies convenues et quelques grosses ficelles, Chado indigo étant un pur titre bancal où les idées pleuvent, parfois bonnes, le piano et les passages acoustiques, parfois mauvaises, les rythmes fête du village ou la voix d'enfant, c'est un peu le bordel.
Malgré ces quelques défauts, quelques longueurs aussi, et des passages un peu trop clichés, Arkona parvient globalement à vous immerger dans un univers plutôt unique, il faut dire que le chant est excellent, très diversifié, et que les arrangements sont de tout premier ordre, rendant la plupart des titres épiques, ne bouffant pas toute la place, chaque instrument ayant toute l'espace nécessaire pour s'exprimer (bon, peut-être pas la basse...), là dessus, Arkona a bien bossé pour nous offrir des instrumentations folk qui s'éloignent des clichés habituels et qui s'intègrent admirablement à sa musique, avec un réel sens de l'équilibre.

Un album plutôt étonnant pour un groupe que l'on pensait incapable d'évoluer, Arkona fait ici preuve d'une authentique volonté d'aller de l'avant , en se mettant en danger, et surtout en sortant des clichés habituels d'un genre désormais sclérosé et stéréotypé à l'extrême.
Bien sûr, l'évolution est lente, et même avec une dimension progressive supplémentaire et une inclinaison atmosphérique, Arkona a encore tendance à se raccrocher à de grosses ficelles, et cède parfois à certaines facilités d'écriture, malgré tout, de manière assez minime, et je dois bien avouer que Yav est le genre d'album qui fait plaisir à entendre, et pour une fois, le groupe ne nous a pas balancé une chanson à boire débile, ce qui est déjà un remarquable progrès en soi, au contraire, les russes semblent bien décidé à aller au delà des codes du genre, et Yav est une addition de choix à la discographie conséquente d'Arkona, qui risque malgré tout de lui aliéner une partie de ses fans les plus anciens tant le style pratiqué ici diffère des premier albums.
Arkona prend une autre direction, et se rapproche de Moonsorrow, ou d'un Borknagar en mode folk slave, Yav est un album immersif, introspectif, qui bien que pas vraiment catchy, parvient à vous emmener pour un sacré voyage, où l'on ne voit pas vraiment le temps passer (67 minutes quand même), mais sa fluidité, son dynamisme, et sa variété font que la galette à un rythme qui lui est propre, avec une vraie profondeur et un niveau d'émotion certain, de même qu'une incroyable richesse en terme d'arrangements, ce n'est pas encore parfait, mais Arkona tient le début de quelque chose, à condition de continuer sur cette voie et de ne pas retomber dans les travers passés...

Merde, Arkona a presque sorti un bon disque, surprenant...
Track Listing:
1. Zarozhdenie
2. Na strazhe novyh let
3. Serbia
4. Zov pustyh dereven'  
5. Gorod snov
6. Ved'ma
7. Chado indigo
8. Jav'
9. V ob'jat'jah kramoly