mercredi 30 mai 2018

[Chronique] Alkaloid - Liquid Anatomy

Linus Klausenitzer, actuel bassiste d'Obscura, Hannes Grossmann et Christian Münzner, respectivement batteur et guitariste anciennement chez Obscura (faisant partie de ce que l'on pourrait appeler le line-up "classique" d'Obscura), le guitariste Danny Tunker ex-Aborted mais également guitar tech chez Obscura, ça fait beaucoup d'Obscura dans un groupe tout ça, ajoutons à ça le chanteur/guitariste Morean de Dark Fortress et de Noneuclid, et vous avez devant vous un véritable all-star band du Tech-Death dont on aurait pu penser qu'il se contente de faire du Obscura-like, sauf que non, Alkaloid a prouvé avec son premier album The Malkuth Grimoire sorti il y a pile trois ans qu'il était un tout autre animal, œuvrant dans le Tech-Death, certes, mais davantage décidé à explorer la dimension progressive de son art plutôt que de se contenter des recettes faciles du genre, ce premier album était délicieusement plein de défauts, des failles presque normales pour un projet aussi aventureux et non-conventionnel dans son approche, quand on tente beaucoup, qu'on expérimente, tout ne peut pas être parfait, ce qui nous amène à Liquid Anatomy, un second album où Alkaloid, presque naturellement, ne va pas se restreindre aux codes qu'il a défini il y a trois ans, il va s'en servir de base pour faire... autre chose.

Enfin, quand je dis autre chose, ça reste fondamentalement du Death Metal hein, et même si des rapprochements peuvent se faire avec l'orientation de cette galette, Alkaloid n'est pas Cynic et n'est pas devenu un groupe de Prog/Jazz, on en est même à des années-lumière par moment tant le super-groupe teuton reste ancré dans le Death, et c'est le grand tour de force de Liquid Anatomy, être parvenu à continuer l'expérimentation progressive sans rien sacrifier de ses tendances Death Metal, Alkaloid a finalement pris le genre au pied de la lettre, emmener le Death dans une nouvelle dimension sans le dénaturer, et évidemment, comme avec le premier album, il va falloir s'accrocher, les mecs ne font pas franchement dans le easy-listening avec son songwritting intriqué et sinueux, quoi que, je dois bien vous avouer que personnellement, j'ai tendance à trouver Liquid Anatomy presque plus accueillant que son prédécesseur, il faut dire que l'utilisation du chant clair va aider, un chant qui pourrait être considérer comme clivant, mais c'est un choix compréhensible qui suit la nature évolutive de la musique d'Alkaloid, prouvant encore que le groupe n'a pas perdu son esprit aventureux, le premier titre résonnera presque comme une déclaration d'intention, Kernel Panic s'ouvre sur un chant clair et un rock-progressif qui n'est pas s'en rappeler Porcupine Tree, étrangement d'ailleurs, la ligne de chant clair principale semble tout droit sortie de chez Ghost, bien sûr que les grosses décharges de Death seront de la partie, et on sera proche de la schizophrénie avec ses leads Heavy/Power sur un rythme Hard Rock, rien que le premier titre vaut presque l'achat de l'album.

Partant de ce que je vous ai dit jusqu'ici, je ne pense pas avoir à vous signaler que le rester sera complètement différent de ce premier morceau et qu'Alkaloid ne va jamais vouloir se répéter, vous avez aimer le Prog inaugural de l'album? COOL! car dès le morceau suivant avec As Decreed by Laws Unwritten, on va se manger une mégatonne de Death Metal pur et dur avec une gigantesque référence à Morbid Angel, putain que c'est lourd de chez lourd, écrasant et asphyxiant, sans aucune pitié, hormis quelques très légères aérations progressives discrètes pour laisser passer un peu d'air, un morceau mid-tempo au caractère inexorable, brutal, mais avec la volonté de mêler de petites touches différentes, la référence à Morbid Angel se continuera d'ailleurs avec le bien nommé Azagthoth, morceau suffocant et viscéral plus rythmé, vindicatif, avec énormément d'expérimentations, le chant clair légèrement robotique qui refait son apparition, et un appréciera la dimension incantatoire de certains passages d'outre-tombe qui font un sacré effet, et si vous voulez encore plus de Death, Chaos Theory and Practice complétera ce triptyque Death Metal sur un tempo encore plus relevé, contrebalancé par d'aventureuses dérivations progressives, un morceau à la brutalité diaboliquement véloce, par moment tellement sauvage qu'il en devient presque bruitiste, ce morceau est une véritable démonstration de songwritting, intriqué, sinueux, et même au sommet de sa brutalité, le titre fourmille de détails sonores et d'incartades prog, et l'on appréciera davantage les passages atmosphériques qui s'impose ici avec un naturel désarmant malgré le décalage qu'ils provoquent.

Au milieu de ce chaos organisé et de ce Tech-Death à la densité extrême, on remerciera Alkaloid de proposer une petite pause rafraîchissante avec le Heavy/Prog acoustique du morceau éponyme placé à mi-parcours de la galette, entre l'interlude et la power-ballade, où l'on prendra le temps d'apprécier le niveau technique tout simplement ahurissant des gars, de même qu'un chant clair auquel on fini par s'habituer après un petit temps d'adaptation, le filtre robotique sera d'ailleurs un rappel aux délires SF qui imprègnent les paroles du groupe de même que certains arrangements, il faut noter que comme sur l'album précédent, il y a un concept à Liquid Anatomy, auquel j'ai strictement rien compris vu le côté touffu de la chose, mais passons, car à partir du morceau éponyme l'album prendra une tournure un peu plus progressive le temps de deux titres, In Turmoil's Swirling Reaches en forme de délicat build-up qui laissera le temps d'admirer les lignes de basse volubiles de Linus Klausenitzer, et en parlant de build-up, celui de Interstellar Boredom sera encore plus brutal et gratiné, car Alkaloid va se fâcher tout rouge dans le dernier quart avec un Hannes Grossmann qui lâchera du blast-beat de sauvage sans aucune forme de pitié, avec une structure qui se fragmentera de plus en plus mais sans jamais véritablement perdre sa ligne directrice.

L'album dure quand même soixante-quatre minutes, ce qui peut apparaître foutrement long pour ce genre d'album aussi dense et complexe, mais il atteint cette durée un peu excessive car le neuvième morceau est un gros pavé de quasiment vingt minutes, où c'est pas compliqué, Alkaloid donne absolument tout dans Rise of the Cephalopods et va survoler presque l'intégralité de ce dont le groupe est capable, et il fallait bien vingt minutes pour tout caser, entre longues plages atmosphériques, violence Death Metal, dérivations progressives, Tech-Death ultra-complexes avec des tonnes de cassures et de changements de directions plus ou moins abruptes, autant le dire tout de suite, on est carrément dans une autre dimension, avec un niveau technique tout simplement ridicule et un songwritting d'une autre planète, c'est pas compliqué, en terme de Tech-Death, Alkaloid vient de mettre tout le roster d'Unique Leader en PLS pour dix ans avec des mecs qui n'atteindront jamais le quart du niveau de ce que vient d'accomplir Alkaloid avec ce morceau, tout simplement brillant, c'est un peu cinq-six morceaux différents réunis en un ensemble cohérent, il aurait juste pu être coupé en plusieurs parties pour être digéré plus facilement, il faudra donc s'accrocher pendant vingt minutes.

Comme quoi il est possible de faire du Tech-Death progressif sans tomber dans la branlette technique stérile ou dans le Metal abstrait obtus, Alkaloid vient également de prouver qu'il est possible d'être une entité complètement progressive sans oublier de sonner Metal, car même si Alkaloid donne souvent dans le progressif et joue sur les atmosphères et les textures, il se rappelle qu'il est un putain de groupe de Death Metal, et probablement l'un des plus impressionnants actuellement, car en dehors d'un niveau technique ahurissant, Alkaloid est un maître du songwritting, et cette technique se met au service de compositions qui cherchent à emmener le genre dans une autre dimension, explorant constamment de nouveaux horizons, et même si cette touche de prog supplémentaire permet à Alkaloid d'être un peu plus accueillant, Liquid Anatomy reste un album particulièrement complexe, et parfois un peu trop, surtout quand la musique se fait trop dense avec trop d'informations à traiter en même temps pour un simple cerveau humain d'un auditeur qui devra faire l'effort et persévérer dans l'écoute, mais quand on écoute ce genre d'album, on sait où on met les pieds et ça fait parti du deal.

Bref, pour faire court, Liquid Anatomy sera probablement le meilleur album de Tech-Death progressif de l'année, le plus innovant, le plus impressionnant dans la maîtrise de son sous-genre, Alkaloid n'a pas refait The Malkuth Grimoire, il a fait autre chose en partant de ce premier album comme base, est-il meilleur ou moins bon? aucune idée, et c'est presque impossible à dire tant les deux albums sont à la fois très proches et complètement différents dans leurs approches, une chose est sûre cependant, Liquid Anatomy est une sacrée claque dans la gueule, progressif, frénétique, viscéral, atmosphérique, avant-gardiste, ça et tout un tas d'autres choses en même temps, d'une autre planète en tout cas...