samedi 23 juillet 2016

[Chronique] First Fragment - Dasein

Le québécois Philippe 'Pat' Tougas n'a pas le temps de niaiser cette année, après un album avec Serocs l'année dernière, 2016 est une année faste pour le stakhanoviste du Death Metal de la Belle Province, Chthe'ilist et son Dernier Crépuscule en janvier, The Last witness de Zealotry en avril dernier, voilà donc le troisième album de l'année pour Tougas avec ce premier effort longue durée de First Fragment, un projet dont on avait plus de nouvelles depuis 2010 et l'EP, déjà impressionnant à l'époque, The Afterthought Ecstasy, qui même s'il ne révolutionnait pas le genre, démontrait une sacré force de frappe, mais de quel genre on parle en fait? facile, c'est signé chez Unique Leader, c'est du du gros Technique Mort Métal frénétique, en même temps, avec une pochette et un logo rassemblant tous les codes visuels du genre, c'était pas difficile à deviner...

Allons droit au but, le Tech-Death, ça me gave déjà depuis quelques temps, le genre est devenu chiant, et même un Obscura ne trouve plus grâce à mes yeux, et bien vous savez quoi? si comme moi vous n'avez pas aimé le dernier Obscura, First Fragment risque bien de vous réconcilier avec le genre, Dasein enterre largement la dernière livraison teutonne, et doit même surclasser la quasi-totalité du roster d'Unique Leader, ouais, rien que ça, First Fragment va nous délivrer ici une sacré leçon de Tech-Death dont certains médiocres feraient bien de s'inspirer.

Autour de Tougas, on retrouve son collègue guitariste habituel Gabriel Brault-Pilon, ainsi que le chanteur David Alexandre Brault-Pilon, c'était déjà le line-up de l'EP, ça n'a pas changé, par contre, le groupe s'est enfin trouvé un bassiste en la personne de Vincent Savary, et surtout un batteur, terminée la batterie programmée, entre ici le frenchy Samuel Santiago... enfin non, pas tout à fait, puisque c'est le Severed Savior Troy Fullerton qui officiera aux baguettes pour l'album.

Il va s'en dire que quand on parle de Tech-Death, les performances techniques seront stratosphériques et hors-normes, cherchez pas, c'est le cas ici, ça va bien évidemment jouer à une vitesse insensée et tout simplement ridicule comme on peut s'y attendre, mais ce n'est pas seulement sur ça que ça va se jouer, car First Fragment, contrairement à certains de ses congénères, sait composer de vraies bonnes chansons, ça a l'air con dit comme ça, mais le songwritting est véritablement ce qui va transformer Dasein en putain de bon disque dense et accrocheur plutôt qu'en une avalanche de plans jazzy incompréhensibles et de démonstrations techniques.

Musicalement, si vous connaissez l'EP, vous ne serez pas trop dépaysés puisqu'en dehors de deux titres, tous furent composés entre 2004 et 2010 quand Tougas était encore étudiant à Degrassi, et donc, ça va déchirer le cul de ta mère en mélangeant habillement Death technique moderne, les aspirations progressives de certains grands anciens (coucou Atheist), et plus prosaïquement le gros Br00tal Death qui tâche, bref, ça va chier, et dès le premier morceau Le Serment de Tsion, le ton est donné, ça bute, évidemment ça en fait des caisses avec des cassures abruptes et une technique complètement folle ainsi qu'un tempo bien plus rapide que de raison, le growl est caverneux à souhait, ce qui fait que même chantés en français, impossible de comprendre quoi que ce soit aux lyrics, et il y a un plus, la grosse touche de Neo-classique dans les leads, qui sera présente sur quasiment tout l'album, imaginez Yngwie Malmsteen qui déciderait de faire du Tech-Death, ça donnerait surement à peu près ça, tout à fait le genre de morceau que n'aura jamais réussi à faire un Fleshgod Apocalypse.

Un peu plus progressif encore, le titre éponyme enfoncera le clou avec une construction plus fragmentée, mais malgré tout diablement cohérente entre brutalité ravageuse et mélodies non dénuées de subtilités, c'est un peu la grande force de First Fragment, la capacité qu'a le groupe à ne pas trop se disperser, bien sûr que ça part dans des délires techniques par moment, sans que jamais on ne soit vraiment perdu car la technique est au service d'un songwritting minutieux et diaboliquement efficace, First Fragment maintient constamment une certaine pression, son agressivité naturelle, avec une réelle densité et des transitions à la fluidité improbable, bien aidé il est vrai par une production excellente, un mastering signé par l'Augury Mathieu Marcotte et un mixage de l'autre Augury Hugues Deslauriers, et un DR8 pour ce genre d'album fait toute la différence, rendant la tambouille très dynamique et lisible malgré sa grande complexité et sa densité.

C'est l'agressivité et les soubresauts d'une violence inouïe qui constitueront la base du son First Fragment, car ici le progressif ne sera pas vraiment à l'ordre du jour, un peu quand même, mais plus en forme de saupoudrage par-ci par-là, First Fragment préfère allez droit au but et ne pas trop s'écarter de l'essentiel, c'est ce qui rend les morceaux aussi intenses et in your face malgré les multiples divagations techniques, le riffing étant tout simplement monstrueux, de même qu'une section rythmique implacable servant de fondation pour que les deux guitaristes aient le chant libre pour se lancer dans leurs trips techniques, et il est d'ailleurs à noter que certains guests seront de la partie, Christian Münzner sur Mordetre Et Dénaissance, Mathieu Marcotte sur Archétype, ou encore Collin McGee (Elderoth) sur un Gula très orienté progressif.

Malgré tout, il y a un mais, car par rapport à l'EP, on passe de 27 minutes à la bagatelle de 56, ce qui est véritablement excessif quand on parle d'un Death aussi technique et frénétique, qui a tendance à user progressivement la santé mentale de l'auditeur, d'ailleurs on a tendance à décrocher peu après la moitié de l'album, l'instrumental acoustique Prélude en sol dièse mineur n'a que peu d'intérêt (alors que ça fonctionne très bien en mode Flamenco sur l'intro de L'Entité), et précède un Archétype réellement médiocre et basique qui fait tâche sur cet album, le groupe aura un peu de mal à relever la barre par la suite, qui sera un peu plus décousue, avec des morceaux qui n'auront pas vraiment le même impact que ceux de la première moitié, à part peut-être le très bon Gula, qui inclura quelques leads d'obédience Heavy Metal pour le fun, où l'ultime morceau Evhron qui sait faire preuve d'une certaine efficacité malgré le fait qu'il s'éternise surement un peu trop.

Des défauts, il y en a, mais finalement, rien de rédhibitoire, aucun véritable tue-l'amour à l'écoute de ce premier album de First Fragment, le songwritting de Dasein est même au dessus de l'EP, c'est vous dire le niveau que l'on atteint ici.
Malgré tout, le changement de format ne se fait pas sans mal, et avec presque une heure de Tech-Death aussi frénétique, Dasein va tester les limites de votre résistance, car ce disque est exigeant avec l'auditeur, ne le laissant jamais respirer, il s'avère plutôt épuisant après une quarantaine de minutes, ce qui aurait été un format un peu plus digeste.
Quoi qu'il en soit, rien que pour l'intensité, le songwritting, la technique hors-norme, l'excellente production, la densité et la fluidité de son Tech-Death, de même que son délicieux penchant pour le néo-classique, First Fragment vaut vraiment le coup et mérite que l'on s’intéresse à son cas, car après tout, pas sûr que vous écoutiez mieux cette année en matière de Technique Mort Métal.