vendredi 13 mars 2015

[Chronique] Leviathan - Scar Sighted

Il y a des albums dont il est compliqué de parler, par pour la musique, mais pour des choses qu'il se passe en dehors, il y a certains albums où il est difficile de faire abstraction du contexte, la dernière fois, c'était avec Necrophobic, je dois bien vous avouer que je n'étais pas franchement à l'aise pour vous parler d'un album dont le chanteur venait de se faire virer car il se défoulait allègrement sur se femme et ses gosses à coups de chaîne, et l'on ne parle même pas de ce couillon de Varg ou encore des gros problèmes personnels de ce junky/arnaqueur/voleur de Blake Judd; Avec le one-man band Leviathan, on franchit un palier supplémentaire dans le sordide.
Pour vous la faire courte, Jef Whitehead, alias Wrest, avait été accusé en 2011 d'avoir violé de manière très brutale sa petite amie avec plein d'objets dont un pistolet de tatouage (Le Black Metal ne nourrissant pas son homme, le monsieur a un boulot à côté), une histoire bien glauque, dont il s'est sorti grâce à un bon avocat et l'abandon de certaines charges en cours de route, avec deux ans de probation, la vérité, on ne la saura surement jamais, mais le mal est fait, Jef Whitehead est entré dans la catégorie personnage sulfureux du Black Metal.
Ce contexte, il va falloir en faire abstraction afin d'appréhender ce nouvel album de Leviathan, surtout que Wrest a beaucoup à se faire pardonner après un True Traitor, True Whore (notez la subtilité du personnage puisque l'album est sorti peu de temps après que n'éclate l'affaire au grand jour, un album en forme de vengeance envers son ex) complètement chaotique et fourre-tout, et on peut le dire, plutôt foiré, et l'on imagine volontiers que le gars n'avait pas vraiment la tête à l'endroit, bref, quatre ans plus tard, voilà que Scar Sighted est dans les bacs, et l'on peut presque parler d'album de la rédemption pour le sulfureux américain, musicalement bien sûr, humainement, on en sait rien et on s'en tape...

Une fois de plus, Jef Whitehead va faire chier les Trve du Black Metal en faisant sa media whore en posant en une de l'édition de mars de Decibel avec sa gamine (après tout, les plus grosses Attention Whores du Metal sont dans le Black...), mais on comprend bien que le mec veut se refaire une virginité médiatique et surtout remettre le projet Leviathan sur pied, heureusement, Wrest a particulièrement bien bossé son affaire cette fois-ci, comme si finalement True Traitor, True Whore n'avait jamais existé, et qu'il fallait plutôt considérer Scar Sighted comme la vraie suite de Massive Conspiracy Against All Life.
Plus qu'une suite, Scar Sighted est davantage l'aboutissement de la discographie de Leviathan, un disque somme, où Wrest nous condense en quelque sorte le meilleur de son abondante discographie, ce nouvel album va faire le lien entre tous les différents styles abordés par le passé, c'est ainsi que l'on va retrouver un Raw Black rugueux, malgré tout ancré dans une certaine modernité, cohabitant très naturellement avec la facette la plus Ambiante du projet, Wrest retrouve un certain allant et toute sa créativité en nous proposant un mélange entre le Black à l'ancienne de The Tenth Sub Level of Suicide et la modernité à la noirceur insondable de Massive Conspiracy Against All Life, certes, on pourra toujours arguer que tout cela a quand même un petit arrière-goût de recyclage et d'album un peu sans risque fait dans le but de rassembler le plus possible tous les fans du groupe, peu importe la période qu'ils préfèrent vu qu'ils s'y retrouveront aisément dans la tambouille de Wrest, mais il faut bien avouer que Scar Sighted est, dans le genre disque best of, un véritable modèle du genre, entre Black traditionnel, atmosphères ténébreuses, bizarreries sonores assez inventives, et un soupçon de modernité, et même si l'album n'a pas forcément le même impact que certaines gemmes de la discographie de Leviathan, il n'en demeure pas moins un excellent moyen de remettre le projet sur de bons rails après quelques années bien chaotiques.
Le Chaos, justement, c'est bien la marque de fabrique de Leviathan, et alors qu'il n'était contrôlé en aucune manière en 2011, Wrest reprend la main et maîtrise complètement son sujet cette fois-ci, et c'est ce contrôle qui va permettre à Leviathan de proposer une musique dense, sournoise, et diablement cohérente malgré les nombreuses incartades qui parsèment chaque titre de l'album, c'est aussi ce qui fait que Leviathan se rapproche plus que jamais de Deathspell Omega, pour son approche à la fois frontale et dissonante.

Après la petite intro mystérieuse de rigueur où l'on se croirait chez Ulver, The Smoke of their Torment va envoyer du lourd et du brutal, pour un morceau particulièrement Heavy et implacable, malsain, dégueulasse, mais avec beaucoup de polyvalence, notamment au niveau du chant ou Wrest utilise davantage un spoken word caverneux, le morceau sent le soufre du début à la fin, une noirceur abyssale au service de la versatilité musicale, car on va retrouver de nombreuses variations dissonantes où l'on est pas si éloigné que ça de la scène Death abstraite, on pourra même penser à du Gorguts par moment, d'ailleurs il sera encore question d'orientation un peu plus Death que la normale sur un Dawn of Vibration poisseux et punitif, malgré cela, Leviathan est toujours fermement ancré dans le Black le plus occulte, Wrest usant d'un growl bien criard, et l'on sera surpris du break central à la basse qui fait très groupe de garage grunge, où Wrest vomit des paroles plaintives, un moment WTF au beau milieu de l'un des morceaux les plus bourrins du disque, en compagnie du très orienté Black à l'ancienne Within Thrall, qui pue le Black préhistorique norvégien, ça bourre, avec une ambiance diabolique particulièrement savoureuse, où de discrets arrangements seront de la partie, une sorte de bourrinage mystique, avec également quelques chœurs pour le délire mystérieux.

Niveau bizarrerie, on sera servit avec un Gardens of Coprolite à mi-chemin entre du Deathspell Omega et du post-Black ambient ritualiste, une sorte de morceau dissonant de Drone Black atmosphérique particulièrement flippant, diaboliquement sinueux et labyrinthique, où Wrest vomit son chant criard dégueulasse, en alternant parfois avec de la narration marécageuse, une ambivalence entre le Black über bourrin sinueux et des passages plus ambiancés et atmosphériques que l'on retrouvera sur pas mal de titres de l'album, All Tongues Toward, fonctionne un peu de la même manière, et Wrest va vraiment démontrer toute sa polyvalence vocale, parvenant à alterner entre la haine pure et dure et des parties vocales à l'agonie, surtout sur les passages plus atmosphériques, comme par exemple le très long titre éponyme, sorte de Drone Ambient avec ses hurlements sinistres au loin et ses soubresauts de fureur, assez révélateur de ce qu'est au final l'album, la volonté de faire le lien entre le Leviathan des premières heures et le Leviathan plus moderne et plus enclin vers l'ambiant, Scar Sighted est un album à la fois moderne et old school, une espèce d'expérience mystique brutale, qui même si elle ne repousse aucune frontière, on est en territoire connu, permet à Wrest de proposer un disque en forme d'aboutissement de sa discographie, dont on pourra malheureusement regretter qu'il n'atteigne pas le niveau de noirceur désespérée de certaines de ses œuvres plus lointaines, surtout que Wrest en fait ici peut-être un peu trop pour maintenir l'auditeur dans un inconfort constant, l'album donne parfois l'impression d'en faire des tonnes dans le bizarre sans raison particulière, juste pour faire des effets étranges et malsains afin de surprendre pour le simple fait de surprendre, cela apparaît assez vite un peu artificiel malgré le talent incontesté de Wrest dans l'écriture de pièces très denses et énigmatiques.

Difficile de nier que Scar Sighted est une oeuvre cathartique de Leviathan, un album douloureux, pas une écoute facile, une sorte de mise au point de la part de Jef Whitehead, qui plutôt que d'expérimenter à nouveau a choisi de se tourner vers le passé pour nous servir un condensé de la discographie du projet, du neuf avec du vieux en quelque sorte, même si heureusement le recyclage est très discret, et réalisé avec un certain talent, l'album est dense, massif, en même temps profondément occulte et dissonant, et pas avare de changements de direction tout en demeurant assez cohérent.
Scar Sighted est suffocant, malsain, peut-être un peu trop, car l'américain ne fait pas dans la demi mesure et nous assène l'intégralité de sa palette d'effets occultes en tout genre, et ça fait un peu effets de manche gratuits, Leviathan vient malgré tout de nous pondre un bon disque, qui n'a pas vraiment le même impact que certaines de ses gemmes passées, mais qui s'avère au final un bon cru de la part de l'artiste américain, de quoi satisfaire pleinement les fans et replacer le projet au centre de la scène Black Metal américaine, Leviathan veut violer votre âme, attention cependant, Wrest pourrait aussi en profiter pour violer ta gonzesse au passage...