Il y a une dizaine d'années le Thrash était partout, toute une nouvelle génération de jeunes groupes biberonnée au Thrash des années 80 formait un mouvement que l'on a subtilement appelé le Re-Thrash, c'était pas du génie, juste de vieilles recettes passées sous le spectre de la modernité avec des productions puissantes et actuelles, mais le mouvement apportait un vent de fraîcheur à une scène qui en avait bien besoin, les labels se sont mis à signer tout et n'importe quoi du moment que le groupe jouait pas trop mal et avait un nom cool, et même certains vieux seconds couteaux oubliés depuis la fin des années 80 en avaient profité pour tenter un comeback, et puis comme toutes les modes, la hype s'est lentement mais surement éteinte, le Re-Thrash est presque mort, et seuls quelques gros poissons (et encore, gros à l'échelle du Thrash, donc ceux qui gagnent à peine de quoi payer le loyer chaque mois avec leur musique) subsistent, Angelus Apatrida est de ceux là, l'une des forces majeures d'un mouvement aujourd'hui en état de mort cérébrale, un groupe dans une situation particulière, puisque les espagnols sont depuis quelques temps à la recherche du son de la maturité, et autant le dire tout de suite, ce n'est pas avec Cabaret de la Guillotine qu'ils l'ont trouvé.
Un peu comme tout le mouvement dont il est issu, la carrière d'Angelus Apatrida a connu son pic créatif au début de la décennie, en 2012, avec The Call, l'album qui d'une certaine manière parvenait à canaliser l'énergie et sa fougue adolescente dans un cadre plus structuré et presque plus raffiné, sans trop perdre de la violence primaire dont se nourri le genre qu'il pratique, d'ailleurs, Hidden evolution, sorti trois ans plus tard, marquait un certain fléchissement dans l'agressivité, et c'est un processus qui se poursuivra avec ce Cabaret de la Guillotine, Angelus Apatrida est à la recherche de l'album de la maturité, celui qui lui permettra de se sortir de son réducteur carcan Thrash et lui ouvrira de nouveaux horizons, dans un sens, en tant que force motrice du mouvement sur la scène européenne, les espagnols ont raison de vouloir faire les choses de manière différente et tenter d'explorer de nouvelles choses, la réalisation leur donnera probablement tort avec ce nouvel album.
Généralement, dans le Thrash, la maturité se traduit souvent par un gros ramollissement à la Metallica ou à la Megadeth, pas de bol pour Angelus Apatrida, alors que chez Metallica le ramollissement s'était traduit par une explosion commerciale, les espagnols sont plus du côté Megadeth du truc, et même si Cabaret de la Guillotine n'est pas DU TOUT un album de Hard Rock tout mou du genou, on est dans un Thrash qui a perdu en fougue et en agressivité, il suffit de regarder la durée des morceaux, certains tapent facilement les six minutes, ce qui n'est franchement pas rassurant pour un groupe de Thrash qui nous avait habitué à des frappes fugaces et efficaces, Angelus Apatrida est fait pour la blitzkrieg et pas forcément pour la guerre des tranchées, autrement dit, le groupe sera avare en morceaux coup de poing et se lancera souvent dans de longs développements inutiles et parfois insipides.
Malgré tout, Sharpen the Guillotine jouera particulièrement bien son rôle de morceau d'ouverture correct, conservant un caractère vindicatif ainsi qu'une certaine agressivité, tout en étant d'une certaine manière accueillant, trouvant l'équilibre entre la violence et cette recherche de la maturité, c'est catchy, plutôt efficace, ça tabasse parfois pas mal avec un certain délice, mais on aura vite tendance à trouver le temps long, le morceau fait ses six minutes mais aurait tout aussi bien pu être coupé de deux minutes sans aucun problème vu les répétitions qu'utilisent le groupe comme remplissage, c'est un défaut qui sera plus flagrant, et plus rédhibitoire, sur certains morceaux suivants, et il ne faudra pas attendre longtemps car dès le second titre, Angelus Apatrida va se gaufrer comme un con avec une daube trop longue et sans couilles qui semble explorer le pire de la discographie de Megadeth des années 90, le refrain pue le Mustaine-like pas inspiré et vocalement c'est poussif à mort, et on ne peut pas dire que les deux morceaux suivants resteront dans les annales puisqu'ils nous montrent un Angelus Apatrida à peine moyen qui expédie les affaires courantes avec deux fillers.
Dans un sens, Downfall of the Nation sera plutôt une bonne surprise, ce n'est pas un très bon morceau, il faut bien l'avouer, mais il a au moins le mérité d'intégrer quelques bonnes idées, comme ce riff principal qui lorgne du côté du Pantera, et un chant de Guillermo Izquierdo qui se fait un peu plus grave qu'à l'accoutumée, c'est dommage que ce ne sera pas plus exploré par la suite, et en parlant de référence à Pantera, la ballade Farewell aura cette petite vibe Cemetery Gates pas désagréable du tout, on pourra aussi rapprocher ça d'une version Thrash du Wasting Love d'Iron Maiden tant les deux structures se ressemblent, c'est étrangement dans la seconde partie du disque que le groupe tirera ses meilleurs cartouches, Witching Hour se montrera très massif et sinueux avec une grosse référence à Testament et un Guillermo Izquierdo qui donne tout sur sa meilleure imitation de Chuck Billy, c'est peut-être le seul moment où la greffe entre le Thrash des 80's et son évolution heavy typée années 90 prendra chez Angelus Apatrida.
Comme le groupe est plutôt avare en brûlot in your face, on savourera volontiers One of Us, sorte d'hymne Thrash aux paroles sociales très politisées, pas révolutionnaire (lol) pour un sou mais ça fait le boulot pour te décrasser les esgourdes et massacrer tes cervicales, The Die is Cast sera quant à lui bien plus fourbe dans son approche, puisque bien que le morceau a tendance à tabasser sévèrement et que ça envoie la sauce, le groupe nous balancera du bon gros refrain mélodique putassier comme un vulgaire Trivium, autant dire que ça gâche tout le morceau, que ne parviendra pas à sauver une avalanche de leads décontractée du slip qui se retrouve jeté là-dedans sans aucun raison particulière, c'est à se demander où Angelus Apatrida veut en venir tant c'est parfois décousu, Martyrs of Chicago aura droit lui-aussi à son refrain dégueulasse en chant clair, j'entends bien que l'objectif des espagnols avec cet album est d'élargir son auditoire, mais c'est quand même prendre les gens pour des gros cons et des pigeons de penser qu'il suffit de plaquer à l'arrache un refrain easy listening racoleur sur du Thrash pour qu'un public mainstream achètent ton disque, sincèrement, le morceau n'avait pas besoin de cette merde alternative, toute la partie Thrash est excellente, et les gars viennent tout gâcher avec leurs velléités commerciales putassières.
Après cinquante-deux minutes étranges où on se demande un peu où Angelus Apatrida veut en venir, on peut affirmer que la quête de ce fameux album de la maturité est pour l'instant un échec, Cabaret de la Guillotine est jusqu'à présent l'album le moins convaincant des espagnols, l'album est plombé par un ramollissement général où Angelus Apatrida bande mou, on sent bien que le groupe veut s'aventurer en territoire mainstream mais n'a aucune putain d'idée de comment y arriver, on pourra éventuellement saluer cette paradoxale prise de risque, car ils pourraient tout à fait se contenter de sortir le même disque de Thrash pur et dur tous les deux ans sans trop se fouler, mais presque tout ce que tente Angelus Apatrida se solde ici par un échec, Cabaret de la Guillotine est un album de transition raté, où les espagnols galèrent à trouver une recette qui fonctionne, on a donc affaire à un disque foutraque, décousu, et au mieux, à peine passable.
Track Listing:
1. Sharpen the Guillotine 06:01
2. Betrayed 06:05
3. Ministry of God 05:00
4. The Hum 04:26
5. Downfall of the Nation 04:49
6. One of Us 03:13
7. The Die Is Cast 05:23
8. Witching Hour 05:59
9. Farewell 06:24
10. Martyrs of Chicago 05:00