Étonnante carrière que celle des allemands de Fjoergyn, ce groupe existe depuis quasiment quinze ans, a déjà sorti un paquet d'albums, celui-ci étant le cinquième, et pourtant, il semble que personne ne le connaisse, ou tout le monde s'en cogne, cela va souvent de pair d'ailleurs, je dois bien vous avouer que même si je suis versé dans le Black Avant-Gardiste, je n'avais que de succincts souvenirs de Fjoergyn, ah c'est peut-être ça le problème en fait, Fjoergyn fait du Black d'Avant-Garde, ça n'a pas toujours été le cas, mais ça l'est définitivement aujourd'hui, même si une fois de plus, comme avec tous les groupes du genre qui se respectent, il y a eu évolution avec Lvcifer Es, et on tient peut-être le disque qui pourrait enfin lancer une carrière moins confidentielle pour nos teutons, ou pas, ça reste de l'Avant-garde après tout...
Que s'est-il passé chez Fjoergyn depuis 2013 et la sortie de leur dernier longue durée Monument Ende, oh, la routine pour ce genre de groupe, un nouveau guitariste, un nouveau chanteur de session, du mouvement de personnel assez courant dans un groupe qui s'articule principalement autour du guitariste Stephan Löscher, et un EP bancal sorti l'année dernière histoire de relancer la machine, un EP dont on retrouve le morceau titre Terra Satanica en version retravaillée sur cette nouvelle galette longue durée.
Pour son cinquième album et même si l'espèce de Black épique symphonique des débuts est désormais loin derrière, Fjoergyn a conservé malgré tout ses racines Black qui servent de base d'où partent des compositions richement arrangées et chargées de multiples influences, les allemands ont leur vision du Black d'Avant-Garde, qui reste relativement ancré dans un Black symphonique très conventionnel, où viendra se greffer tout un tas de trucs, dans un ensemble bien plus cohérent qu'avant, et c'est bien sur ce point-là que Fjoergyn a progressé et semble miser pour enfin combler son déficit de reconnaissance, une musique certes versatile et bourgeonnante mais qui va se faire ici bien plus lisible et fluide, de plus Lvcifer Es a ce côté massif dans le son qui tranche avec certaines productions précédentes du combo, le fait que le son soit particulièrement dynamique et pas trop compressé avec un très bon DR8 fera passer la pilule d'un album plutôt long contenant de longues pièces très chargées et richement texturées.
La longue introduction instrumentale MMXVII va se chargé de bâtir une sacrée ambiance dans une atmosphère plutôt épique et cinématographique, un build-up qui monte lentement en pression et qui sert parfaitement de rampa de lancement à un Leviathan qui s'ouvrira sur une narration dans la langue de Goethe (il est à noté que c'est chanté intégralement en allemand et que je n'ai aucune idée de ce qui se raconte sur le disque) et un riff assez massif sur une rythmique bien groovy, tout ça est assez martial dans son approche mais ça ne va pas durer, car très vite on va monter en gamme et le tempo va s'accélérer pour une espèce de Black symphonique très typé Septic Flesh pour les chœurs, et à partir de là, Fjoergyn va naviguer entre tout un tas d'influences diverses, leads mélodieuses et volubiles qui tranchent avec une espèce de Thrash baroque nourri aux sonorités orientales avec ses instants blast beats de sauvageons, autant dire que tout y passe sans jamais donner l'impression d'être décousu, chaque élément est à sa place et Fjoergyn va parvenir à maintenir le même niveau de qualité sur les morceaux suivants.
Le morceau éponyme Lvcifer Es aura également par moment ses relents de sonorités orientales étrangement adossés au chant en allemand et un Black particulièrement martial et massif, il est a noter que le groupe utilise pas mal de violon et de ses dérivés dans ses orchestrations et parfois de façon dissonante, tout ça étant joué par Shir-Ran Yinon, un nom qui dira peut-être quelque chose au fans d'Eluveitie, bref, ce violon sera très en verve sur un Blut Samen Erde tout simplement phénoménal pour son ambition démesurée et l'émotion dégagée, le groupe a vraiment mis le paquet sur les orchestrations pour développer de longs morceaux massifs et multi-texturés, où jamais le black n'est oublié, et c'est souvent très violent sur ce point-là, Terra Satanica par exemple, très théâtral, grandiloquent au possible, sera marqué par des combos Blast beats/Trémolos pour des moments de Black symphonique baroques et emphatiques.
Diversité est le maître mot, mais Black Metal est la constante qui fait tenir debout un album où Fjoergyn semble avoir atteint une réelle maîtrise de son art, le groupe vagabonde constamment dans le symphonique, le théâtral, les dérivations atmosphériques orchestrales, mais revient constamment à l'agression sonore à un moment où un autre, ce qui nous donne des morceaux très dynamiques et toujours sur la brèche, à n'importe quel moment le groupe peut changer de direction, et peu importe celle qu'il emprunte, elle apparaîtra naturelle malgré son caractère incongrue au premier abord, Fjoergyn se met constamment en danger et multiplie les références, Dinner mit Baal aura tendance à se rapprocher d'une version satanique d'un titre léger de Die Apokalyptischen Reiter ce qui donne une dichotomie particulièrement savoureuse en plus d'un travail impressionnant sur les orchestrations.
Un Black Metal, électronique, Industriel, symphonique, baroque, Thrashy, violent, théâtral, malsain, Lvcifer Es est de ce genre d'album qui semble prendre un malin plaisir à vouloir échapper à toute tentative de catégorisation, malgré tout, avec sa ligne directrice claire et affirmée, Fjoergyn parvient à proposer un album diaboliquement cohérent, c'est très avant-gardiste, aventureux et briseur de code, mais Lvcifer Es est avant tout un vrai album de Black Metal souvent sauvage où viennent se greffer des influences diverses et des dérivations particulièrement couillues, malgré son caractère profondément hétéroclite, Lvcifer Es forme un tout, une oeuvre dense et complexe, où tous les morceaux défilent les uns après les autres avec une remarquable fluidité et chacun un caractère affirmé, sans jamais trop en faire, les morceaux sont touffus mais jamais trop surchargés, Fjoergyn vient surement de livrer son oeuvre la plus aboutie, le plus impressionnante aussi, et pas sûr qu'on ait mieux dans le genre cette année.