Au même titre qu'il existe une scène Avant-Garde Black Metal, bien que personne n'arrive véritablement à la définir vu qu'on classe dans la catégorie tous les trucs bizarres qui n'entrent dans aucune autre case, s'est développée depuis quelques années une espèce de scène Death avant-gardiste qui rassemble tous les combos touchant au Tech Death abstrait ou au post-Death dissonant tous très très fortement influencés par Gorguts et Demilich.
Sorti de nulle part il y a quelques années, Artificial Brain avait très sérieusement botté des culs en 2014 avec son premier album Labyrinth Constellation en ajoutant à la tambouille Tech-Death bizarre pas mal de références SF à la Nocturnus, et après un tel disque, il allait sans dire que le suivant était particulièrement attendu par les fans du genre, au point de faire de ce second album d'Artificial Brain l'un des albums les plus attendus de l'année, et autant le dire tout de suite, si vous avez aimé Labyrinth Constellation, il va être bien difficile de faire la fine bouche devant Infrared Horizon.
Parmi les trucs que je reprochais au premier album, et malgré le fait que j'aime beaucoup ce disque il était loin d'être parfait, c'est qu'il avait fallu attendre la fin du disque pour que le groupe fasse preuve d'un peu plus d'ouverture et ajoute une diversité bienvenue en touchant par moments à quelques éléments Black Metal, il faut croire que je suis particulièrement visionnaire car c'est précisément là où vous emmènera cet Infrared Horizon, non pas que Artificial Brain soit devenu un groupe de Black, loin de là, ce n'est même pas du tout le cas, mais les américains vont nous proposer un second album paradoxal, plus simple dans son exécution, mais également bien plus expérimental dans son approche et les références qui vont lentement se dessiner.
Infrared Horizon voit toujours Artificial Brain être ce groupe de Tech Death abstrait et avant-gardiste amateur de science-fiction, son Death va reprendre bien évidemment tous les codes définis lors du premier album, mais là où les gars sont très forts, c'est qu'en plus de jouer sur ses forces et de sonner particulièrement familier à l'oreille, Artificial Brain va ajouter suffisamment d'éléments nouveaux afin de rester intéressant, frais, et d'aller plus loin qu'il y a trois ans, globalement, on pourrait presque dire qu'avec Infrared Horizon, Artificial Brain propose une autre version de lui-même, c'est toujours le même groupe, mais qui explore une autre facette de son Death.
Bien évidemment, vous allez retrouvez dans Infrared Horizon de très nombreuses références à Demilich et Gorguts, le Tech-Death abstrait restant au cœur de l'édifice, mais là où Labyrinth constellation restait fermement ancré dans le Death Metal, ce second disque va ici voir le groupe monter dans sa navette spatiale et explorer d'autres galaxies, entrent ici les références bien assumées à Krallice et certaines orientations qui rappelleront à certains le génial Dodecahedron, donc voilà, c'est pareil, mais c'est différent, mais c'est toujours pareil quand même, sauf que c'est différent.
Artificial Brain évite brillamment le piège où tombe habituellement les groupes du genre, une sur-complexification extrême et inutile qui fait qu'on y comprend plus rien, c'est tout le contraire avec Infrared Horizon, car même si le groupe touche à plus de choses, en incorporant une dimension blackisée certaine, il va parvenir à se montrer presque plus accessible, plus palpable dans son extrémisme sonore fait de collisions rythmiques et d'enchevêtrements de riffs, Floating in Delirium ouvrira l'album avec un Death technique qui pourrait très bien figurer sur le premier album, mais on remarque que le morceau se montrera particulièrement lumineux et limpide malgré son inclinaison au Death caverneux et toujours aussi hostile, un léger changement qui se prolongera sur Synthesized Instinct qui poussera plus loin l'évolution, embrassant l'évolution sans retenue, avec ses trémolos typiquement black Metal qui semble fusionner avec le Death abstrait et le post-Metal aux confins de l'atmosphérique, ce n'est que le second morceau et on sait déjà que l'on a affaire à une sacré bestiole, et surtout, que l'album sera réussi.
Réussi oui, car Artificial Brain est toujours monstrueux quand il s'agit de rendre lisible un amas de riffs et de textures sonores, car en plus du Black à trémolo, c'est également du côté du post-Rock que naviguera parfois l'album, avec ses étranges passages aériens constamment contrebalancés par un growl caverneux alternant par moment avec des hurlements plus stridents, ce qui ne va pas empêcher l'album de souffrir de certains défauts, car comme il y a trois ans, Artificial brain va se montrer avare en diversité, avec des structures qui se répètent souvent, mais également des motifs sonores un peu trop récurrents, c'est comme si Artificial Brain était un groupe qui devrait faire des EP et non des albums longue durée, le groupe est très fort pour proposer du neuf, du frais, dès le début, en ajoutant de nouvelles choses, mais va sur toute la durée de l'album répéter plus ou moins ces mêmes innovations qui se feront de moins en moins fraîches au fur et à mesure que les titres défilent.
L'album a également quelques morceaux plutôt moyens, Mist like Mercury est typiquement le genre de titre qui donne l'impression de n'être là que pour le remplissage et de n'avoir aucun sens, surtout que l'utilisation massive des trémolos n'est pas franchement des plus judicieuses, le morceau se termine d'ailleurs par un fade out de grosse feignasse, Ash Eclipse sera un titre de clôture plutôt faiblard qui n'apporte aucune ouverture, se contenant de reprendre bêtement ce que le groupe fait depuis trois-quart d'heure, c'est un peu comme si le groupe avait tout balancé en début d'album et s'était contenter de ça dans la seconde moitié sans plus jamais mettre du neuf ou des surprises sur la table.
Malgré tout, il n'en reste pas moins que quand Artificial Brain s'en donne les moyens, il est foutrement impressionnant, Static Shattering est par exemple un monstre d'intensité et de densité qui joue sur une dissonance malsaine et des sonorités étranges, permettant de donner une dimension lugubre à un Tech-Death particulièrement brutal et rentre-dedans, dont l'ajout des passages post-Black permet une dualité passionnante et une véritable opposition de style, Anchored to the Inlayed Arc ira plus loin dans cette ambivalence et nous proposera des passages où le groupe joue sur une incroyable vélocité qui sera contrebalancée par un Death bien plus lourd chargé d'un groove plutôt efficace.
Dans l'ensemble, Infrared Horizon est légèrement supérieur à son prédécesseur dans le sens où il fait preuve de plus de cohésion, il faut dire que l'inclusion d'une légère touche de Black ajoute une petite dose d'émotion à un Tech-Death qui avait justement tendance à être déshumanisé, ce qui n'empêche pas un manque certain de diversité, et ce n'est pas la production presque parfaite de Colin Marston qui est en tort, c'est bien le groupe qui se montre parfois incapable de sortir de son bloc sonore volontairement monolithique, et en parlant de production, le son est tout simplement excellent, Marston a réussi à rendre Artificial Brain encore plus lisible, avec une clarté qui tranche incontestablement avec le premier album, mais il faut dire que celui-ci est pleinement un album de Death, ce qui n'est pas le cas ici.
Si vous aimez le Tech Death dissonant et abstrait à la Gorguts et le Black à la Krallice voir le Black avant-gardiste d'un Dodecahedron, Artificial Brain semble vouloir se poser à la croiser des chemins, et Infrared Horizon est une sacré bestiole qu'il est bien difficile à appréhender, mais c'est le cas de cette scène Tech-Death d'Avant-Garde dans son ensemble, qui n'est pas forcément ce qu'il y a de plus accessible.
Artificial Brain démontre qu'il a de la personnalité, un talent fou dans la composition de pièces intriquées et complexes qui parviennent à rester carrément brutales et violentes, et l'ajout d'éléments empruntés au black permet au groupe de développer des atmosphères prenantes et une émotion qu'on espérait pas trouver dans ce genre de disque, Infrared Horizon a également le mérite de proposer une expérience auditive assez différente de Labyrinth Constellation tout en en conservant les fondamentaux Tech-Death bourrin, et rien que pour ça, l'album vaut le coup.