Difficile de faire plus culte que les anglais de Satan quand on parle de NWOBHM, difficile aussi de faire plus chaotique comme carrière, car malheureusement, malgré la brillance de son premier opus de 1983 Court in the Act, Satan a eu une trajectoire intermittente et fragmentée, entre changements de personnels, changements de nom s'accompagnant souvent de changements de style, il est quasiment impossible de résumer tout ça de manière claire et c'est bien évidemment ce qui a empêché le groupe d'avoir la carrière qu'il aurait du avoir, lui offrant juste le statut de groupe culte et légendaire.
Pourtant, contre toute attente, et après trente ans de bordel, il y a eu un miracle, Satan est parvenu à revenir avec son line-up de 83 afin de s'offrir l'un des plus improbables come-back de l'histoire du Heavy Metal, car Satan n'est pas revenu pour prendre des chèques en festival en jouant sur la fibre nostalgique comme des vieux cyniques, Satan est revenu pour botter des culs à la chaîne et donner la leçon aux petits cons du neo-vintage, avec sincérité et intégrité, et l'amour du travail bien fait, les excellents Life Sentence en 2013 et Atom by Atom deux ans plus tard ne faisant que renforcer leur statut de légende...
... Partant de là, et partant du principe qu'il est désormais acquis que Satan est tout simplement incapable de composer un mauvais morceau, il ne faisait que peu de doute que Cruel Magic allait être une autre démonstration implacable de toute la brillance du groupe... oui, mais pas tout à fait, car il fallait bien que ça arrive, les anglais ne pouvaient pas continuer sur le même rythme et ce troisième album post-reformation marque pour la première fois une très légère baisse de régime, mais quasiment rien, les mecs ont de toute façon placé la barre tellement haut que même en étant un poil en dessous ils restent très largement au dessus de la concurrence, Cruel Magic est moins orienté speed Metal que ces deux prédécesseurs, ce qui ne va pas empêcher l'album d'être gavé de bon gros Heavy Metal qui se rapprochera de la période pré-Dickinson d'Iron Maiden.
Un Heavy Metal toujours aussi pêchu d'ailleurs, car même si c'est légèrement moins speedé, il n'en reste pas moins que le riffing du duo Ramsey/Tippins est toujours particulièrement frénétique, c'est un peu comme si le reste du groupe voulait ralentir un peu les tempo mais que les deux guitaristes n'en avaient absolument rien à foutre, le morceau d'ouverture Into The Mouth Of Eternity va d'ailleurs être marqué par cette espèce d'ambivalence, c'est moins rapide, mais le groupe s'engage dans un build-up plus sinueux qui va le voir constamment modifier les tempo et on pourrait presque considérer ça comme des éléments progressifs, le morceau Cruel Magic aura quant à lui un léger côté Hard rock à la Judas Priest qui malheureusement n'est pas forcément ce qui sied le mieux à Satan, on a affaire à un morceau qui s'avère plutôt quelconque et ce ne sera pas le seul titre dispensable de la galette, Ophidian est juste passable malgré son bon petit build-up et son accélération sur la fin.
Fort heureusement, le reste sera de bien meilleure qualité, The Doomsday Clock fait partie de ces morceaux où Satan se montre intraitable et impérial avec son riffing frénétique et son tempo speedé, c'est du classique in your face typique des anglais, comme peu l'être My Prophetic Soul ou Legions Unbound, ce dernier étant plutôt intéressant dans sa construction, puisqu'il se permettra une petite pause atmosphérique qui sert de point de démarrage à un putain de bon build-up qui transforme ce titre en quelque chose de carrément épique, l'album sera ensuite chargé de Heavy Metal tout ce qu'il y a de plus solide avec des morceaux inattaquables comme Death Knell for a King ou Ghosts of Monongah qui continuent sur cette voie davantage mid-tempo en flirtant parfois avec le Rock progressif comme sur un Who Among Us qui démontre tout le savoir-faire du groupe, ou le titre de clôture Mortality qui joue sur une certaine lenteur pour développer une ambiance plutôt épique.
Malgré ce ralentissement général, il faut quand même souligner que l'énergie déployée par Satan n'a pas diminué, elle est utilisée différemment, chaque morceau est chargé de punch et de cette énergie brute presque juvénile qui se retrouve canalisée par des maîtres d'oeuvre qui ont plus de trente-cinq ans d'expérience, il faut noter également que le son de l'album est particulièrement raw, la production est vraiment à l'ancienne, et afin de préserver toute la fougue et ce sentiment d'urgence qui se dégage des compositions malgré leur caractère mid-tempo, Satan a quasiment tout enregistré en une prise en limitant au maximum les retouches en studio, ce qui donne un son assez particulier, très cru et épuré, la batterie sonne de manière très naturelle, la basse galope avec liberté, les guitares sont toujours aussi granuleuses mais pas trop, mais on regrettera un mastering qui compresse les dynamiques, ce qui est plutôt paradoxal et à l'opposé de cette volonté de proposé un album le plus raw possible.
Y'a pas à chier, même si c'est plus lent et qu'il y a bien deux-trois titres passables, Cruel Magic est le genre d'album qui pue la sincérité, l'intégrité et le talent, presque quarante ans après sa formation, Satan continue d'enchaîner les albums brillants, et même si celui-ci l'est un peu moins que ces deux prédécesseurs, il n'en reste pas moins que Cruel Magic est encore largement au-dessus de la concurrence, testament du savoir-faire inégalable d'un groupe qui a encore les crocs et qui met ses couilles sur la table à chaque sortie, pourvu que ça dure...