Le premier album de Genevieve, Escapism, avait été l'une des claques tardives de l'année 2015, et encore aujourd'hui je serais bien incapable de décrire précisément de quoi il s'agissait ou de cataloguer le groupe dans un genre en particulier, Genevieve fait partie de ces groupes indescriptibles dont la musique est une expérience unique et sensorielle qui se vit plus qu'elle ne se décrit, il en est ainsi des groupes expérimentaux qui s'affranchissent allègrement des barrières et des normes, on pourra toujours trouver des rapprochements, des ponts avec d'autres choses, mais ce sera toujours diffus et pas nécessairement proche de la vérité, partant de ce postulat, ce n'est pas avec son second album que Genevieve donnera des réponses, bien au contraire, Regressionism étant davantage un fascinant enchevêtrement de questionnements métaphysiques, et avec un groupe toujours aussi hostile d'un point de vue formel, il va falloir s'accrocher...
Chaotique, claustrophobique, discordant, et souvent très erratique dans l'élaboration de structure en mouvement qui s'entrechoquaient constamment, le premier album de Genevieve voyait le groupe développer un redoutable déluge de Death/Black abstrait et expérimental, avec de nombreux parti-pris sonores, notamment le fait de n'être jamais accueillant avec l'auditeur, de le prendre à la gorge et de l'embarquer dans un cauchemar névrotique, cette optique et cette état d'esprit n'ont pas forcément changé deux ans plus tard, même si Regressionism sera marqué par de nombreuses évolutions formelles.
Ce second album se fera légèrement moins chaotique et moins violemment erratique, Genevieve a étoffé son son avec des sept cordes et une bonne grosse basse, le groupe trouvant ici une surprenante fluidité dans un chaos savamment maîtrisé, un Black/Death dont le centre de gravité se serait légèrement déporté vers le post-Metal, tout en conservant une violence inouïe et un fond toujours aussi complexe puisqu'il traite d'une humanité qui aurait échoué à évoluer davantage du fait de régressions politiques et morales, avec Regressionism, Genevieve mêle ainsi de front de nombreuses évolutions stylistiques et esthétiques sans aucun compromis et avec une extrême liberté d'action.
C'est un groupe sûr de son fait qui utilisera les cinq premières minutes de son album sur un long build-up introductif particulièrement angoissant et prenant, qui nous plongera dans un univers aux structures sociales en pleine déliquescence, Smoke utilisera un spoken word chantonné dans une ambiance décharné qui évoluera vers un Death aux fortes ramifications sludge avec son martèlement rythmique intense, et dès le morceau suivant, The Judge, Genevieve va rapidement déployer tout son arsenal de structures imprévisibles, violence schizophrénique servie avec des riffs à la tonalité incroyablement abrasive et hostile, chant crié dégueulasse, un Death dissonant, un peu Noise sur les bords, un déluge malsain et vindicatif qui s'engagera sur un passage central surprenant car très proche du Post-Hardcore et du post-Metal, particulièrement angoissant et poignant.
Après ce premier pavé intense de plus de neuf minutes, Wind Chimes marquera une petite pause acoustique qu'il faudra apprécier car il n'y en aura plus jusqu'à la fin, No For an Answer en dévoilera davantage sur les évolutions qu'a traversées le groupe en deux ans, ce morceau est complètement saccadé, constamment en rupture, mais malgré son caractère bondissant et sa structure non-conventionnel, Genevieve parvient à trouver un certain sens de la fluidité et un certain fil conducteur, stylistiquement, ce morceau est assez particulier, on se rapproche volontiers d'un Imperial Triumphant qui aurait partouzé avec Ephel Duath pour tous les passages Prog/Atmo, ces tentatives de chant clair lointain, décharné, qui se mêlent aux hurlements pour un build-up cacophonique et cataclysmique avec un morceau qui s’emballe et qui débouche sur un final de folie, cette référence à Ephel Duath (celui de Painter's Palette principalement) sera davantage mise en avant sur William Blake, long titre-fleuve de onze minute où Genevieve aura tout le temps de développer une très large plage atmosphérique un peu orienté vers le Jazz/Prog, et comme le groupe est toujours aussi peu conventionnel, il plongera directement dans le noise punitif et oppressant sur la fin du morceau.
Regressionism est un album qui joue sur les contrastes entre tous les genres et les textures que Genevieve parvient à mêler avec un certain brio, ce qu'il ne faisait pas sur l'album précédent d'ailleurs, qui se contentait d'être violemment erratique et bruitiste, Regressionism va beaucoup plus loin, en opposant une certaine clarté d'un prog agonisant et une fureur ténébreuse ultra violente, créant un ensemble claustrophobique, maladif et malsain, cet album est un redoutable assaut sensoriel, unique en son genre, même si bien sûr Genevieve se montre toujours aussi hostile et sauvage, avec de nombreux partis-pris sonores qui en rebuteront plus d'un, il n'empêche que le groupe a fait un pas de géant et que Regressionism est l'un des meilleurs album de l'année, abrasif, brutal, fascinant, et sans aucun compromis.