Oups, désolé, c'est Vulture Industries qui revient, autant pour moi.
La nature est bien faite quand même, et semble avoir toujours horreur du vide, car aussitôt Arcturus mort et enterré (enfin à peu près, le cadavre bouge encore), émergea le remplaçant bien décidé à occuper le trône laissé vacant du Black avant-gardiste norégien, en la personne des déglingos de Vulture Industries.
Simple copie d'Arcturus alors? NON! ce serait trop simple, Vulture Industries développe sa propre personnalité et en quelque sorte sa propre vision du Black Metal expérimental symphonique avant-gardiste industriel théâtral (ouais, c'est long, mais c'est tout ça à la fois), même si j'admets que les deux premiers albums étaient marqués par l'influence de La Masquerade Infernale (faute d'orthographe incluse, sont pas doués en français chez Arcturus), avec un côté théâtral exacerbé, et d'ailleurs surement un peu trop cinglé et barré sur le second disque The Malefactor's Bloody Register qui avait tendance à partir dans le délire glauque total alors que le premier essai, The dystopia Journals, était un poil plus calme.
Mais ça, j'ai presque envie de dire, c'était avant, car vous vous doutez bien que Vulture Industries n'est pas vraiment le genre de groupe à sortir deux fois le même disque, et donc, ouais, voici la phrase qui fait frémir: Vulture Industries évolue! (là vous devez être bouche-bée et dire oooooohhh, normalement)
Et Vulture Industries évolue en... (je sais pas faire les roulements de tambours en onomatopées, mais vous imaginez le truc) ... Leprous!
Merde, j'viens encore de faire une comparaison foireuse, désolé, surtout qu'en fait, c'est pas vraiment ça, mais en peu quand même, même si c'est différent, donc vous prenez Arcturus, auquel vous ajoutez Leprous, un soupçon de Faith no More et de Mr Bungle, et vous tombez grosso-merdo sur The Tower, troisième album donc.
Bref, la donne est différente pour ce troisième opus, vous aimez le Black Metal? ouais hein, comme tout le monde... bah y'en a plus vraiment, c'est con, mais c'est comme ça, va falloir s'y faire, l'évolution de Vulture Industries passe donc par l'abandon des sonorités abrasives typiquement black (ouais, tu peux aussi te brosser pour des hurlements, y'en a plus), qui fait de The Tower un disque moins cinglé et abrupt que le précédent, les norvégiens ont ici adouci leur propos, canalisé leur énergie, et prennent enfin le temps de développer les atmosphères et leurs ambiances, d'ailleurs un peu moins glauques qu'auparavant, ce nouvel album est par bien des aspects bien plus lumineux et "sain", même si bien sûr, on reste dans l'avant-garde norvégien, donc la folie et la schizophrénie ne sont jamais très loin, prenant ici une forme différente, car le groupe n'oublie pas son passé décadent dans le fond.
Malgré tout, évolution ou pas, il y a bien une chose qui fera que l'on comparera toujours Vulture Industries a Arcturus, c'est le chant de Bjørnar Nilsen, tête pensante du combo, qui se rapproche énormément du timbre de Garm, partageant également avec lui la même passion pour le chant théâtralisé à l'extrême et quasiment mélodramatique avec ses envolées lyriques assez typiques du genre, sans chant black cette fois-ci, il explore toutes les facettes de son chant clair, et c'est que la palette est riche nom d'une pipe, car c'est un peu sur lui que repose la tour Vulture Industries, par là que passe la folie, avec une prestation pleine de lyrisme, de murmures, et parfois, à la limite du gutturale sur certaine intonations un poil plus rageuses, ça et les paroles également, franchement, je vous recommande de les lire (ouais, achetez le cd quoi), c'est profond, fouillé, avec des métaphores en pagaille, je trouve d'ailleurs ces paroles indispensables afin de saisir toute la finesse de The Tower et en comprendre le sens, les chansons sont d'ailleurs plus longues, avec une certaine profondeur de champ qui fait que l'on voyage vraiment tout au long de l'album, avec également un certain sentiment de malaise dû à certains aspects mélancoliques et mélodramatiques.
Why did we built it? Because they hate us. Why do they hate us? Because we built it.
The Tower est un curieux exercice d'équilibriste où Vulture Industries s'évertue à mélanger les genres, en adoucissant son propos certes, mais avec malgré tout cette volonté de renforcer sa fluidité, car The Tower a un flot bien à lui, les titres se font naturellement plus lents, mais avec un sens du groove particulier, et ce sens de la mise en scène, car évidemment, tout ça est admirablement scénarisé, et Vulture Industries nous fait visiter son petit théâtre de l'absurde, un univers très riche, recherché, avec des arrangements de toute beauté, hors de réalité, hors du temps aussi, car l'imagerie du groupe est parfois assez proche du steampunk.
A la manière d'un Leprous, Vulture Industries va prendre tout son temps afin d'installer ses atmosphères, avec pour finalité de vous emmener précisément là où il veut, et de ce point de vue là, The Hound, un gros pavé qui flirte avec les 10 minutes, est une démonstration magistrale de l'art norvégien, une très longue montée en puissance, le titre est de prime abord lent, calme, propice à la rêverie, et petit à petit, on sent monter la pression, cette tension qui devient palpable avant l'explosion attendue qui intervient à plus de sept minutes, avec son gros riff à la Enslaved et cette fin un peu folle mais tout en maîtrise, c'est surtout la fluidité qui impressionne ici, jamais de brutalité, les changements de rythmes et d'ambiances se font de manière délicate, et ceci même quand les norvégiens décident d'augmenter le tempo avec Blood on the Trail, surement le titre le plus direct de l'album, étrangement catchy, intense, avec pas mal de cassures, son solo Heavy et son break génial de piano perdu dans un saloon en ruine, une sorte de cabaret grotesque qui rappelle bien sûr les délires syncopés du second album, un titre d'ailleurs suivi du court The Dead won't mind, qui est plutôt une sorte de longue interlude bizarre, un peu malsaine par ses sonorités industrielles déglinguées et par les murmures flippants de Nilsen, idéalement placé avant l'espèce de balade A knife between us, où s'entremêlent rythmes langoureux avec Nilsen dans un rôle de crooner et riffs offensifs bizarrement catchy, de véritables montagnes russes avec ses moments de calmes et ses accélérations subtiles mais fortement appuyées.
Vous l'aurez compris, malgré son caractère homogène, la diversité demeure à l'honneur chez Vulture Industries, le titre d'ouverture met d'ailleurs dans l'ambiance, assez proche de ce que proposait le groupe sur The Dystopia Journals, malsain, posé, avec ses explosions plus théâtrales et heavy, très sombre aussi, lors de l'exposé des cinq règles de la Tour, et que dire de ses deux dernières minutes très aériennes et mélodramatiques, une intensité que l'on retrouve dès le titre suivant, Divine - Appalling et son ambiance de fête foraine de l'étrange.
On regrettera juste une fin d'album un peu molle et manquant d'un peu de reliefs, pas du tout de mauvais titres, mais quand on est habitué à la grandeur depuis le début de l'album, il est difficile de seulement se contenter de très bons titres, car Sleepwalkers et The Pulse of Bliss sont les titres les plus "normaux" de The Tower, desquels il manque un je-ne-sait-quoi de folie pour que la sauce prenne véritablement, mais malgré tout, ces deux titres sont remplis de petits détails et de quelques bizarreries qui leur confèrent un certain cachet, l'album se conclue sur un balade introspective de toute beauté, Lost Among Liar, c'est pas ce que j'aime le plus chez le groupe (ouais, j'suis un bourrin!) mais ça fonctionne bien en guise de salut, à la prochaine...
Sauf que c'est pas fini, car un bonus track vaut le détour, Blood don't Eliogabalus, qui est en fait en deux partie, la première reprend les premières deux minutes trente de Blood don't Flow streamlined, titre présent sur The Dystopia Journals, et la seconde est un hommage en forme de reprise d'un thème du groupe Devil Doll, le tout a de la gueule, une sorte de titre rock horrifique expérimental qui a toute sa place ici...
Avec The Tower, Vulture Industries signe surement son album le plus abouti et le plus équilibré, débarrassé de ses attributs Black, évidemment, les norvégiens jouent une sorte de Metal d'Avant-garde théâtral, décadent, avec des atmosphères horrifiques que n'auraient pas renié Alice Cooper, l'album se fait plus calme, mais ce calme n'est qu'apparent, car le chemin est diablement sinueux et le groupe sait accélérer juste au bon moment, les enchaînements sont fluides, les arrangements et les orchestrations fourmillent de détails, ce qui donne à chaque titre une profondeur plutôt unique, avec des atmosphères à la beauté malsaine, parfois venimeuses, parfois mélancoliques, avec le chant toujours impressionnant de Bjørnar Nilsen, à la fois cinglé, intimiste, lyrique, théâtral, de l'excellent boulot.
En dehors de la petite baisse de régime vers la fin, l'album est très homogène, compact, le son se fait plus épuré, plus progressif, mais cette évolution va comme un gant à Vulture Industries, qui se retrouve à l'aise, naviguant entre Arcturus et Leprous, tout en affirmant encore plus sa propre personnalité, du coup l'album est assez difficilement comparable avec les deux premiers, certaines références apparaissent par-ci par-là, mais toujours de manière subtile, dans tous les cas, The Tower reste une oeuvre particulièrement ambitieuse et réussie, pour un groupe qui s'impose comme le fer de lance d'un Metal avant-gardiste norvégien qui a tendance a somnoler depuis quelques temps...
The Tower Needs! The Tower is More!
Track Listing:
1. The Tower
2. Divine - Appalling
3. The Hound
4. Blood on the Trail
5. The Dead Won't Mind
6. A Knife Between Us
7. The Pulse of Bliss
8. Sleepwalkers
9. Lost Among Liars
10. Blood don't Eliogabalus (Bonus Track)