Je ne vais pas vous mentir, j'adore Ihsahn, je vénère Emperor depuis que je suis ado, et même s'il m'a brisé le coeur avec la fin du groupe il y a déjà plus de dix ans, je ne lui en veux pas, car le bougre s'est bien rattrapé avec une carrière solo pour l'instant sans fausse note (bon, AngL, son second disque est bien le seul que je trouve un peu faible et que je n'écoute jamais, alors que bizarrement je connais un paquet de personnes qui le considère comme son chef d'oeuvre), développant son propre univers musical, un son qui lui est propre, à la croisée de ses influences et de sa volonté d'explorer de nouveaux horizons.
Avec une régularité métronomique, à raison d'une sortie tous les deux ans, voici donc le quatrième et nouvel album du norvégien, Eremita, a qui revient la lourde tâche de succéder à un After complètement fou qui m'avait traumatisé au point de l'élire album de l'année 2010.
De folie, il en sera malheureusement moins question ici...
Enfin, un peu quand même, mais sans la magie que pouvait avoir un After, qui fait qu'Eremita, bien que globalement assez bon, met à jour de nombreuses faiblesses jusqu'ici insoupçonnées dans la musique du bonhomme.
Eremita, donc, comme vous vous en doutez, signifie Ermite, un véritable paradoxe tant cette fois-ci Ihsahn s'est entouré de guests assez prestigieux, avec des participations, assez inutiles, il faut bien l'avouer, de Jeff Loomis et de Devin Townsend, deux artistes ayant le vent en poupe en ce moment, même si ayant la particularité de sortir des albums plus que douteux récemment, ça vaut surtout pour Townsend dont le lamentable Deconstruction me reste toujours en travers de la gorge, mais aussi pour Loomis, dont le dernier album solo est surement l'un des disques les plus vains que j'ai écouté cette année, bien sûr, comme sur le disque précédent, Jorgen Munkeby (le Shining norvégien) est de nouveau de la partie avec son saxophone, vu que l'instrument est devenu partie intégrante du Son Ihsahn, même si son utilisation est différente ici, on y reviendra.
Passon cette petite parenthèse "je chie sur ce qui est trendy" et on attaque par le premier titre de cet Eremita, à savoir Arrival, qui a pour invité le chanteur de Leprous, Einar Solberg (notons que la batterie est tenue sur l'album par un autre Leprous, Tobias Ornes Andersen, qui fait un boulot plus que convaincant), le gros problème du titre, c'est justement le chant clair de Solberg, qui est bien sûr excellent, le dernier album de Leprous est d'ailleurs un putain de disque, mais, c'est surtout flagrant en écoutant le refrain, on a surtout l'impression d'écouter du Leprous et non du Ihsahn, la première fois que j'ai écouté ce titre, j'ai quand même dû vérifier si je ne m'étais pas trompé de galette, c'est un peu le problème quand tu invites le chanteur d'un groupe qui évolue dans la même mouvance que toi, et qui a un chant aussi type.
Plutôt dommage car le titre est assez bon, accrocheur, un peu simple pour du Ihsahn, mais qui permet d'entrer en douceur dans ce disque, avant un second titre qui lui, va pleinement combler mes attentes, The Paranoid débute à toute vitesse comme une réminiscence d'un bon vieux Emperor, avant d'aboutir à un refrain génial et une délicieuse partie atmosphérique, y'a pas à dire, c'est quand même mieux quand Ihsahn fait le chant clair lui-même, malheureusement, sur Introspection, on a droit à du Devin Townsend, qui a défaut d'être brillant a au moins le mérite de livrer une prestation toute en sobriété (ça doit faire longtemps qu'il n'a pas chanté sur un vrai titre de Metal sans parler de cheeseburger ou de son caca en plus...), pour un titre au final assez quelconque, trop simple pour du Ihsahn.
Ce n'est que sur le quatrième titre, The Eagle and the snake, qu'interviendra Munkeby, pour une chanson en véritable hit and miss, ou le brillant côtoie le quelconque et l'ennuyeux, surtout l'ennuyeux d'ailleurs, moins de riff, moins de groove, c'est lent, long (plus de huit minutes), le genre de titre qu'Ihsahn savait rendre beau et intéressant sur After et qu'il foire un peu ici, le saxophone est pourtant bien utilisé, moins présent, certes, plus en soutien de la musique, afin de bâtir des atmosphères plutôt sombres, un titre que ne viendra pas sauver le solo minimum syndical de Loomis.
De la même manière, le très contemplatif Catharsis ne risque pas de faire voyager grand monde, vu qu'il ne s'y passa a peu près rien.
J'étais, je vous l'avoue, en train de piquer du nez, quand Something out there m'a brutalement sorti de ma torpeur avec une autre baffe Emperor-style dans la grande tradition du bonhomme, proche du black symphonique, avec ses claviers grandiloquents, et le trademark vocal inimitable d'Ihsahn, qui nous délivre par ailleurs un excellent refrain catchy à souhait, ajoutez à cela un solo génial, et vous obtenez enfin un titre qui a de la gueule.
Après la petite interlude Grief, Ihsahn nous offre un titre bizarre, pesant, sombre, mais aussi traînant en longueur et parfois chiant, avec The Grave, une fois de plus, pas de riff accrocheur, pas de moment catchy, mais une ambiance bizarre ou le saxophone et la batterie sont véritablement mis en avant, une sorte de marche funèbre étrange, atmosphérique, à croire qu'Ihsahn ait décidé de nous offrir un monument d'art abstrait, difficile à suivre, hermétique, dans le genre "allez vous faire foutre, je vais ce que je veux", le bestiau fait plus de huit minutes à base de saxophone distordu et de hurlements, bref, un bien beau foutoir sonore, à la fois attirant et repoussant...
Pour conclure l'album, un autre long titre bizarre, Departure, assez minimaliste, abstrait, avec même du chant féminin (merci Madame Ihsahn), mais loin d'être inintéressant, c'est même plutôt le contraire, c'est bien l'une des rares fois de l'album où Ihsahn réussit a provoquer la surprise, ça part dans tous les sens, c'est un peu bruitiste, parfois planant, vraiment étrange à écouter, et bizarrement c'est assez réussi.
(Notons que l'édition limitée contient un titre bonus, Recollection, mais vous pouvez vous en passer...)
Bref, j'ai eu beaucoup de mal à appréhender ce nouvel opus, ça explique aussi pourquoi j'ai longtemps repoussé l'écriture de cette chronique.
Là où After était un monstre d'inventivité, à la fois planant et agressif, où le côté jazz fusion qui partait dans tous les sens mettait chaque titre en ébullition (les solos de saxophone déstructurés ont d'ailleurs quasiment disparu), tout en conservant une grande cohérence par un songwritting et des mélodies en béton armé, Ihsahn, avec son Eremita, peine à surprendre et à éviter un certain ennui.
L'album est clairement divisé en deux parties, une première assez accrocheuse, sans trop de surprise, qui voit Ihsahn faire ce qu'il sait faire, même si globalement en moins bien que par le passé, et une seconde beaucoup plus aventureuse, même s'il faut avouer que l'ensemble manque de moments forts, manquant des mélodies accrocheuses qui faisaient le sel des trois premiers albums, on se retrouve avec un disque bancal et paradoxal, dans le sens ou l'univers développé par Ihsahn est à la fois plus accessible et également totalement hermétique, parfois accrocheur, parfois incohérent, Eremita est une sorte de voyage bizarre, assez pénible et fatiguant, un disque pas évident, plutôt atmosphérique, mais un voyage pas vraiment passionnant où en fin de compte on arrive au beau milieu de nulle part, épuisé.
En fait, on dirait qu'Ihsahn a voulu se la jouer un peu safe au début pour ne pas perturber l'auditeur, avant d'aller plus loin dans l'expérimentation et la bizarrerie, pour un résultat au final pas très concluant et bancal, avec ses longueurs désagréables et son côté fourre-tout, pas sûr que j'y revienne souvent...
(un mot quand même sur la distribution française de l'album, chez Amazon, c'est soit en import à un prix honteux ou sur le marketplace avec des délais de livraison dégueulasses, la Fnac, pareil, alors EMP, n'y pensons même pas, à moins que vous n'aimiez la sodomie...)
L'Ermite perdu dans son propre univers...
3 / 5